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rêt. Mais la préface reste comme le monument de l’auteur ; elle prouve tout au moins qu’il est très chanceux d’être à la fois directeur de théâtre et écrivain ; on risque d’oublier tour à tour les deux métiers. L’étrange déviation des idées littéraires contemporaines explique comment il est si difficile aux jeunes esprits de ressaisir une inspiration plus Juste, plus vraie et plus simple. C’est déjà un mérite de l’essayer, comme le fait M. Paul Deltuf dans un recueil de Contes romanesques. — Contes romanesques, direz-vous, n’est-ce pas là encore un titre singulier dans sa simplicité apparente ? Cela se peut, mais enfin il y a dans ces pages empreintes de vivacité et de jeunesse tous les germes d’un habile et ingénieux talent. La grâce du style ne manque point à M. Deltuf, non plus que l’art du dialogue. Il y a dans la Vendetta parisienne, l’un des contes de l’auteur, plus d’une fine remarque et un certain attrait de distinction. M. Deltuf réussirait sans doute à peindre, sans profondeur peut-être, mais avec une spirituelle humeur, les mystérieux caprices de la vie élégante. Ce qui manque jusqu’ici dans ses pages, c’est l’invention. Les Contes de M. Deltuf ne dépassent pas les proportions de l’esquisse rapide et légère, mais ils ont souvent cet attrait dont nous parlions, — la distinction : qualité rare depuis qu’on a imaginé de démocratiser la littérature et de passer le niveau sur tout ce qui faisait de l’art le culte délicat et charmant des esprits les plus élevés. Quand on parle si souvent des révolutions, elles ne consistent pas dans ce va-et-vient perpétuel qui met la république à la place de la monarchie, la monarchie à la place de la république. Elles consistent dans ce déplacement de toutes les notions, dans cette falsification de toutes les idées sur l’art aussi bien que sur le devoir moral ou sur les conditions de la vie politique. C’est cette falsification intellectuelle et morale qui marque les progrès de la révolution et est en même temps le signe fatal de l’affaiblissement des peuples, comme aussi il reste toujours un secret ressort, une mystérieuse vigueur chez ceux qui nourrissent un sentiment exact de toutes les réalités de la vie.

Telle est encore aujourd’hui l’Angleterre. Dans ses momens de plus grand repos, dans le développement le plus calme et le plus régulier de son activité, on sent la puissance d’un corps sain et vigoureux ; dans ses crises mêmes et au milieu des excentricités, des contradictions dont sa vie est parsemée parfois, on sent encore cette énergie secrète des peuples fortement trempés. La formation du dernier ministère n’est qu’une preuve nouvelle de cette puissance de vitalité. Il s’est trouvé qu’à un jour donné, où il pouvait y avoir péril pour le pays, les hommes les plus considérables de l’Angleterre ont pu se réunir dans un même ministère et composer le plus puissant faisceau peut-être que l’Angleterre elle-même ait vu. Le cabinet de lord Aberdeen, au reste, en est encore, en quelque sorte, à sa période de formation. Pendant que le parlement est en vacances, il achève de s’organiser et de prendre possession du pouvoir ; les divers membres qui appartiennent aux communes sont successivement réélus. Lord John Russell dans la Cité de Londres, sir James Graham à Carlisle, lord Palmerston à Tiverton, n’ont éprouvé nulle difficulté pour le renouvellement de leur mandat. Chacun de ces hommes d’état a fait son discours aux électeurs, et naturellement c’était une apologie de soi-même et de sa politique ; lord Palmerston et sir James Graham ont même semé dans leurs discours les excentricités humoristiques propres au caractère anglais. Une