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les grandes puissances continentales, — ne sont point, il nous semble, sans avoir leur place dans l’histoire la plus récente de notre pays, non pas qu’ils aient rien de commun, mais parce qu’ils expriment sous des formes diverses la situation actuelle de la France.

C’est le lendemain du jour où l’année commençait que le Panthéon était de nouveau rendu au culte catholique. Ce nom même de Panthéon s’effaçait devant le nom plus chrétien de Sainte-Geneviève, patronne de Paris. La religion reprenait solennellement possession de cette enceinte et la ranimait de ses pompes. C’est une destinée singulière parfois que celle des monumens. Le Panthéon, dans son histoire, ne semble-t-il pas résumer d’une manière saisissante toutes les luttes, les fluctuations, les incertitudes de notre temps ? Dans sa destination première, il y a un siècle, ce devait être une église ; cinquante ans plus tard, la révolution y entrait en souveraine et en faisait une sorte de temple païen élevé à l’homme ; elle envoyait ses scribes verbaliser sur l’enlèvement des reliques et de la châsse de sainte Geneviève, œuvre du « ci-devant soi-disant saint Éloi, orfèvre et évêque de Paris. » Marat allait remplacer la sainte de Nanterre. Toutes ces obscénités épuisées, l’empereur venait rendre l’enceinte profanée au culte religieux. Ce ne fut cependant que sous la restauration, en réalité, que cette mesure trouva son plein accomplissement. Mais déjà commençait la réaction contre le clergé et les influences de l’église, et bientôt, en 1830, le Panthéon redevenait ce que la révolution l’avait fait une première fois. Enfin survint la révolution de 1848, et ici, comme pour résumer notre histoire dans ce qu’elle a de plus tragique, ce temple étrange était destiné à devenir le théâtre d’un des plus sanglans épisodes des journées de juin. Après ces scènes funèbres, il semble que la prière seule pût s’élever sous ces voûtes où la guerre servile avait pénétré comme la dernière dérision de l’orgueil humain. Un décret, en effet, rendait, il y a un an, le Panthéon à sa destination première, et c’est l’autre jour que l’autel se relevait au fond de ce sanctuaire, où ont régné les influences les plus opposées. À travers toutes ces alternatives, qu’on le remarque bien, il y a quelque chose de plus profond qu’une série de changemens dans la destination d’un monument public. À chacun de ces changemens, il s’agit de savoir quelle est la direction des idées ; il s’agit de savoir de quel côté l’homme moderne incline ses adorations, du côté de Dieu ou du côté de lui-même. Sans doute rien n’est plus juste et plus moral pour un peuple que d’honorer les hommes qui l’ont servi par leurs vertus, leur héroïsme ou leur génie, de conserver leur image et de perpétuer leur souvenir. Ce qui est une triste et violente pensée, c’est le fanatisme de l’homme pour lui-même poussé au point de s’ériger un temple et un culte. Là est le renversement de toutes les notions. Il n’y a point de temple pour l’homme. Pour l’écrivain de génie, le véritable temple, c’est le livre qui porte son nom et l’influence de ses idées à tous les coins du monde ; pour l’artiste, c’est le musée où figurent ses ouvrages ; pour l’homme d’état, c’est l’histoire qui raconte ses actions et ses services. C’est par tout cela que les uns et les autres se survivent. Voilà pourquoi, en soi-même, tout ce qui ramène le culte de l’homme à Dieu seul, tout ce qui replace un temple sous son invocation naturelle est une restitution salutaire. Seulement, que cette restitution, pour être durable, s’accomplisse en dehors de tout esprit de réaction intempestive,