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marque de cette philosophie généreuse, de cet esprit d’humanité, autant que de patriotisme, qui lui semblait à bon droit l’honneur de la tribune française. «C’est un grand pays, disait-il, que l’Angleterre, mais c’est un pays de droit coutumier; oh ! si la France pouvait être régulièrement libre et stable pendant un ou deux règnes constitutionnels, comme elle établirait mieux le droit et l’égalité! Et puis, ajoutait-il, je sortais de l’école d’artillerie de La Fère en 1792; j’ai vu la première invasion et la terreur, et, jeune lieutenant, je dis en face son fait au proconsul Joseph Lebon, sauf à être guillotiné quelques jours après, s’il n’était survenu le 9 thermidor. Je ne pouvais tenir à cet excès d’horreur; mais aussi j’ai gardé du même temps grande aversion pour la politique anglaise. M. Pitt, si froid et si dur, est pour moi Machiavel à la tribune. »

« — Ce jugement est bien sévère, général, essayai-je de dire; le discours de M. Pitt pour l’abolition de la traite des nègres, ses touchantes paroles sur le malheur des indigènes arrachés à la côte d’Afrique, ce rapprochement si pathétique entre le sort des races encore barbares et opprimées — et la splendeur sociale de cette Angleterre qui, du temps de César, conquise et sauvage elle-même, ne semblait pas, nous dit Cicéron, capable d’envoyer au marché de Rome un esclave intelligent : cela me semble animé d’un souffle sublime de morale et d’éloquence. Que j’aime dans la discussion sur la traite des noirs, à la fin de cette longue séance de nuit dominée par la parole de M. Pitt, ce beau souvenir de Virgile qui se rencontre avec le lever du jour, et qui semble l’image allégorique du réveil alternatif des peuples et de la pitié secourable qu’ils se doivent l’un à l’autre !

Et nos primus equis oriens afflavit auhelis;
Illic sera ruhens accendit lumina Vesper. »

« — Bien, bien, dit le général en riant, vous êtes trop candide; c’est là de la rhétorique fort belle, j’en conviens, comme M. Pitt, premier ministre à vingt-deux ans, en apportait au parlement; c’est de l’humanité ostensible et bruyante, comme il lui en fallait pour se recommander à la grâce divine des méthodistes et de M. Wilberforce. Que les Anglais abolissent la traite des blancs dans l’Inde! qu’ils n’aient pas gardé Malte contre les traités, incendié Copenhague sous la caution de la paix, et soldé quatre coalitions pour forcer une révolution égarée à devenir atroce, et un grand capitaine, digne d’être un législateur, à se perdre dans une guerre à mort contre l’Europe! alors je croirai à leur pieuse philanthropie... Non, continua-t-il avec impatience, j’aime la liberté anglaise, l’industrie anglaise, la valeur anglaise même, telle que je l’ai vue de près en Espagne, en Portugal et à Waterloo; mais tout cela, je le tiens bon pour l’Angleterre, et