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injustement. Ils aiment à rire, et partant, ils sont moqueurs; la moquerie est de l’insolence bien élevée. Voilà, ce me semble, en général les caractères des jeunes gens. »

Pour concevoir l’effet direct, l’involontaire allusion que pouvait offrir, il y a plus d’un quart de siècle, ce calque fidèle d’antiques observations gravées, il y a deux mille ans, par le génie, d’après le peuple le plus civilisé du monde, il faut se reporter à notre France de 1824 et de 1825, à l’ardeur d’étude, à l’émulation publique et privée, au goût, aux habitudes de discussion qui régnaient alors, grâce au jeu libre des institutions et au mouvement des esprits, plutôt excité qu’amoindri par les tendances ou les velléités contraires du pouvoir.

Cette peinture de la jeunesse semblait être la peinture même de la nation dans le noble travail dont elle était préoccupée, et qui, de la tribune éclatante et libre, rejaillissait sur tout le pays tranquille et animé, industrieux et savant, réunissant au même degré les profits du commerce, la splendeur du luxe et l’élégante activité des arts. L’illustration des grands talens dont brillaient les chambres, l’écho prolongé de leurs débats, la liberté quelque peu contenue mais réelle des discussions extérieures, l’avènement d’une école nouvelle en littérature, et l’heureuse inspiration de quelques-uns de ses chefs, inspiration plus durable et plus vraie que leurs théories, tout concourait à élever le niveau de la pensée française et à entretenir la nation dans un progrès d’émulation et d’espérance. Ce qu’il pouvait y avoir de résistances et de vœux rétrogrades dans une partie de la société n’arrêtait pas un si noble et si naturel élan. Ce que la pratique et la prospérité même du gouvernement parlementaire amenaient çà et là de vues intéressées et de corruptions ne détruisait pas les germes heureux que la liberté jetait dans les âmes. Le mot profond, littéralement traduit d’Aristote : « Ils ont l’âme généreuse, car ils n’ont pas encore été rapetissés par la vie, » fut senti vivement du jeune auditoire, qui semblait se l’appliquer volontiers, par maligne comparaison à quelques exemples, en ce temps-là célèbres, de désertions et d’apostasies bien effacées depuis, il faut en convenir. L’esprit français alors se croyait, se sentait, se voulait prédestiné à la possession d’un gouvernement libre et régulier, fondé sur l’intérêt de tous, la participation effective dans les affaires de la classe indépendante et éclairée, l’extension laborieuse et continue de cette classe, et la promotion de l’expérience et du talent, sous les yeux du public et avec l’assentiment de l’opinion.

La France jouissait déjà d’un grand nombre de réformes obtenues au milieu de ces controverses spéculatives et pratiques qui sont la vie morale des peuples; en dix ans de gouvernement représentatif incomplet d’abord, elle s’était remise des plus grands désastres que