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d’être comptés pour rien, mais s’indignent, s’ils se croient offensés ; ils aiment les distinctions, surtout celle de la victoire, car la jeunesse est jalouse de prééminence, et la victoire est une prééminence. Ils ressentent ces deux ambitions, bien plus que la convoitise d’argent ; ils sont très-peu avides, parce qu’ils n’ont pas fait encore l’essai du besoin. Leur disposition naturelle n’est pas malveillance, mais candeur, parce qu’ils n’ont pas encore eu le spectacle de nombreuses perversités, et de même ils sont confians, parce qu’ils n’ont pas encore été souvent trompés ; ils sont prompts à l’espérance, parce qu’ils sentent en eux une ardeur venant de nature qui les anime, comme des gens échauffés par le vin, et aussi parce qu’ils n’ont pas encore éprouvé beaucoup de mécomptes.

« Ils vivent surtout dans l’avenir. L’espérance appartient à l’avenir : le souvenir fait partie lui-même des choses passées. Or, chez les jeunes gens, l’avenir est vaste, le passé fort court. Aux premiers jours de la vie, il leur semble qu’ils n’ont à se souvenir de rien, mais qu’ils doivent espérer tout, et par là même, ils sont faciles à décevoir, car ils espèrent aisément : ils en sont plus hardis à entreprendre, étant chauds de cœur et bien présumant des choses : deux conditions dont l’une ôte la crainte, et l’autre donne l’audace, car l’homme ardemment excité ne redoute rien, et celui qui s’attend à quelque avantage est entreprenant. Ils sont sensibles à la honte, parce qu’ils ne savent pas encore prendre pour belles les choses qui ne le sont pas, et qu’ils n’ont encore reçu que l’enseignement de la loi. Ils ont l’âme généreuse, car ils n’ont pas encore été rapetisses par la vie, et ils n’ont pas l’expérience des nécessités du monde : et puis, la générosité d’âme, c’est de s’estimer soi-même digne de ce qui est grand, et cela va bien avec l’espérance. Ils aiment mieux aussi faire ce qui est beau que ce qui est utile, car ils vivent de sentiment plus que de raisonnement ; or le raisonnement relève de l’intérêt, le sentiment ne relève que du beau moral.

« Ils ont, plus que les autres âges, le goût de l’amitié, de la camaraderie, par l’attrait de vivre ensemble, et aussi parce que, habitués à ne porter encore nulle part une vue d’intérêt, ils n’en portent pas non plus dans le choix des amis. En tout, ils pêchent par l’ardeur et l’excès, à l’encontre de la maxime du sage : ils font toutes choses trop ; ils aiment trop, ils haïssent trop, et de même pour tout le reste ; ils croient tout savoir, et ils dogmatisent. Cela même est la cause de l’exagération qu’ils mettent en tout ; s’ils font quelque mal, c’est plutôt insolence que malignité. Ils sont sensibles à la pitié, sous une impression qui les porte à croire tous les hommes honnêtes et bons, car ils jugent autrui par l’innocence d’intention qu’ils ont eux-mêmes, de telle sorte qu’ils croient volontiers que les autres souffrent