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cependant un ferment d’irritation continuellement réchauffé par les factions politiques, et qui, plus tard, à la nouvelle de la révolution de février, amena des actes de la plus odieuse brutalité. Seulement, le choc ne porta pas sur les magasins des fabricans, et on s’en tint envers ces derniers à des menaces. S’il y avait eu à Saint-Etienne autant de motifs de haine qu’on s’est plu à le dire entre le travail et le capital, si les ouvriers y avaient été victimes de la cupidité de la fabrique, croit-on que, dans ces jours de folie, ils eussent épargné leurs spoliateurs?

Le torrent se dirigea vers des maisons religieuses où, comme à Lyon, quelques métiers à tisser avaient été établis. C’était une concurrence qu’on voulait abattre, et, dans le bouillonnement des cerveaux, on ne songeait guère à se demander si elle ne profitait pas aux membres les plus malheureux de la famille ouvrière. Comme les travaux exécutés dans les couvons appartenaient surtout à la catégorie de ceux qui sont habituellement confiés aux femmes, des femmes se mirent à la tête de l’attaque. Elles furent secondées et promptement dépassées par l’élément le plus vicié de la population, par ce ramas mobile d’individus qu’on rencontre dans toutes les grandes cités, et qui n’appartiennent positivement à aucun métier. On escalada les couvens dont les murailles s’élevaient au-dessus de la ville, sur quelques mamelons de la montagne. Les meubles furent brisés, et, comme dans une place prise d’assaut par des forces indisciplinées, l’incendie vint en aide à la dévastation. Les envahisseurs étaient descendus dans les caves, ils y avaient défoncé quelques pièces de vin; plusieurs d’entre eux sortirent ivres-morts du milieu des flammes. Les chefs d’atelier de Saint-Etienne se vantent aujourd’hui de n’avoir pas concouru à ces horribles scènes : s’ils entendent parler d’un concours purement matériel, ils disent vrai; mais où étaient-ils donc pendant le sac des couvons? Ne s’étaient-ils pas rendus sur les gradins de la colline, où ils assistaient au désordre comme à un spectacle? Par leurs cris et par leurs gestes, n’appuyaient-ils pas les dévastateurs plutôt que la force publique impuissante? A-t-on le droit, après cela, de décliner la responsabilité de pareils déportemens? Les ouvriers de la rubanerie furent d’ailleurs l’âme de l’agitation, qui se perpétua longtemps après la ruine des maisons religieuses. Pendant quelques mois, l’autorité fut si complètement annulée, qu’on n’osait pas dresser un procès-verbal pour des contraventions de police, même quand ces contraventions étaient le plus évidemment nuisibles à la communauté. Ce n’est qu’un peu plus tard qu’une administration municipale vigoureuse et intelligente put rétablir l’empire des lois.

La situation morale était de plus troublée par d’ardentes préoccupations politiques. On lisait tous les soirs dans les cafés, et souvent à