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résignation ne rentrent point dans les âmes ulcérées. En un mot, la religion est pratiquée sans opposer un frein au débordement des passions; l’habitude et la routine font presque tous les frais de ce zèle extérieur. A tout prendre, cette disposition est encore préférable à ces aveugles défiances qui semblent ailleurs avoir creusé un abîme entre l’église et les masses laborieuses. Si le terrain est également desséché par l’indifférence, on peut du moins y pénétrer plus aisément. Les oreilles ne sont pas fermées à l’enseignement religieux, qui, dans des temps moins agités que ceux d’où nous sortons, finira sans doute par trouver le chemin des cœurs.

Les intelligences populaires ont reçu là, comme partout, depuis une vingtaine d’années, une forte impulsion. L’arène dans laquelle se distribue l’instruction s’est élargie, et, sans être encore suffisantes, les écoles gratuites, dirigées le plus souvent par des frères de la doctrine chrétienne, se sont beaucoup multipliées. Malheureusement, parmi les enfans qui apprennent à lire et à écrire, un petit nombre cultivent seuls plus tard ce premier enseignement; toutefois, ceux mêmes qui négligent les germes confiés à leur enfance gardent encore quelques notions plus ou moins vagues qui les placent, sous le rapport intellectuel, au-dessus des individus restés étrangers à tout essai d’instruction. Les charbonniers sont les plus ignorans parmi les ouvriers de ce district : sur vingt travailleurs de cette catégorie pris à l’âge de vingt-cinq à trente ans, on en rencontre à peine deux ou trois qui puissent écrire quelques lignes. Les passementiers de Saint-Etienne sont au contraire les plus instruits : comme ils ont de petits comptes à tenir dans leurs travaux journaliers, ils sentent le prix de l’écriture, et n’en perdent pas tout-à-fait l’habitude. Ils montrent aussi certaines dispositions pour la musique; on en a vu se livrer avec entraînement à leur goût pour cet art, et y consacrer presque tous leurs momens de loisir. Une faculté qu’il ne serait pas impossible de rattacher au sentiment de l’harmonie semble inhérente à ce pays : c’est une merveilleuse aptitude à saisir le mécanisme d’un travail quelconque, une rare habileté pour cadencer suivant de justes proportions les parties diverses d’un appareil. Cette faculté se révèle chez les ouvriers des usines métallurgiques et surtout chez les rubaniers, qui jouissent, pour la dextérité de leurs mains, d’une renommée sans égale dans toutes les villes où se fabrique la passementerie. A Paris, par exemple, où cette fabrication a pris un si grand développement depuis quelques années, on n’occupe guère que des ouvriers stéphanois, du moins pour les métiers à barre. Le noyau de ces travailleurs, s’étant peu à peu grossi, compose, à l’heure qu’il est, au milieu de la capitale, une véritable colonie forésienne, colonie singulière qui conserve intactes ses mœurs originales. L’attitude et les mouvemens de ces expatriés