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il est vrai, ne sont pas des personnages féodaux. Il n’y a point de noblesse reconnue au Canada. Après la conquête, tout ce qui appartenait aux rangs les plus élevés de la société quitta le pays ; ce fut un malheur pour lui. On trouve bien, comme je l’ai dit, dans la classe des cultivateurs, et quelquefois dans les derniers rangs de la société, des noms nobles ; mais ceux qui les portent, gentilshommes d’origine, ne le sont plus de fait, et se confondent dans le reste de la population. Les prétentions d’un particulier qui voulait prendre le titre de baron n’ont pas été admises par le gouvernement. La démocratie règne ici comme aux États-Unis ; tous les hommes influons sont sortis de la bourgeoisie ou du peuple ; cela n’empêche pas que les terres n’appartiennent à des seigneurs, seulement ces seigneurs sont souvent de très minces propriétaires. Le plus riche est le séminaire de Montréal, qui possède tout le terrain de la ville et le pays à plusieurs lieues à la ronde, ce qui lui fait un revenu de 26,000 louis. Les droits seigneuriaux se composent principalement de ce que l’on paie pour la tenure du sol, ce qui est très peu de chose, et d’un droit sur les ventes qui s’élève à 12 pour 100 ; ce dernier droit est seul onéreux. Celui qui garde sa propriété pour la transmettre à sa famille, ce qui est en général le cas pour les Canadiens français, ne souffre pas de la législation du pays, car il ne paie que le droit de tenure, qui est insignifiant ; mais la transmission de la propriété foncière est très gênée par le droit de vente. Le plus gi-and inconvénient des seigneuries est d’immobiliser la terre, et surtout d’écarter les émigrans, qui veulent une possession plus complète et la liberté de disposer du sol à leur gré.

Un tel état de choses ne peut durer, mais la difficulté est d’en sortir. Quelques-uns proposent de supprimer le droit des seigneurs, ce qui serait une véritable spoliation. Le chef du ministère actuel, M. Lafontaine, est d’avis qu’il ne faut point dépouiller les seigneurs de leur droit, mais déclarer la commutation forcée[1], c’est-à-dire donner à l’occupant la faculté de devenir propriétaire en achetant le fonds pour un prix établi sur une évaluation équitable. C’est aux seigneurs à faire un arrangement, sans quoi ils seront dépouillés tôt ou tard. Malheureusement, ils semblent peu disposés aux concessions, et ils pourraient finir par tout perdre pour avoir voulu tout garder. Le clergé catholique est très populaire parmi les habitans d’origine française, et dans une complète sympathie avec eux. Il a pour revenu la dixme, qui n’est pas un dixième, mais un vingt-sixième des produits ruraux. Le paysan préfère beaucoup un impôt en nature à un autre impôt.

  1. Le séminaire de Montréal est le seul seigneur que le consistoire puisse forcer à la commutation.