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aux États-Unis entraînerait la perte de leur nationalité. Les États-Unis en ce moment font toute sorte d’avances aux Canadiens ; ils semblent dire :

J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’absorber.


Le Canada jouit de toute la liberté désirable, et de plus n’est soumis qu’à des taxes locales. Il n’a rien à payer pour un gouvernement central qui réglementerait les travaux publics et le commerce, rien pour une armée. Il est vrai que ce gouvernement gratuit a l’inconvénient d’être à Londres, et que, si l’on ne paie pas d’armée, c’est qu’on est gardé par une armée étrangère. C’est là ce qui déplaît aux ardens ; de plus ils comparent l’activité de production des États-Unis, l’accroissement de leur population, de leur richesse, de leur puissance, avec la langueur relative du Canada, langueur du reste qui a été exagérée. La population française a décuplé, en quatre-vingts ans (de 60,000 âmes à 600,000), et cet accroissement de la population s’est opéré sans le secours de l’immigration ; il ne s’est peut-être pas établi 4,000 émigrans dans le Bas-Canada depuis la conquête. En délivrant la terre des embarras de la législation féodale, on espère qu’un beaucoup plus grand nombre de colons pourrait venir s’établir dans un climat rude, mais sain, qui, pour les populations catholiques ou parlant le français, comme les Belges, les Suisses, les Français eux-mêmes, aurait des avantages que n’offrent pas les États-Unis. Il ne faut pas croire que le gouvernement se soit endormi dans l’inaction, tandis que le peuple voisin multipliait avec une si grande rapidité les voies de communication sur son vaste territoire. Un Anglais, qui du reste est loin de partager les préjugés de quelques-uns de ses compatriotes sur les États-Unis, exprime, dans un voyage récemment publié[1], combien il a été surpris en trouvant les routes au Canada dans un beaucoup meilleur état qu’il ne l’espérait. Jusqu’à l’année 1849, on a dépensé au Canada, en routes et ponts, plus de 450,000 livres sterling, et pour deux canaux seulement, plus de deux millions de livres. L’un d’eux est le canal Welland, établi pour éviter la chute du Niagara. Un chemin de fer, dont les fonds sont votés, ira d’Halifax à Montréal, en passant par Québec. Le Saint-Laurent est une voie de commerce magnifique, mais pendant six à sept mois le passage est fermé par les glaces.

Les Canadiens nous appellent les Français de la vieille France, mais c’est le pays appelé autrefois la Nouvelle-France qui est aujourd’hui l’ancienne. La propriété foncière y est encore soumise au droit seigneurial. En 1852, il faut aller jusqu’en ce pays reculé pour entendre parler de seigneurs et de seigneuries ; ces seigneurs,

  1. Notes on Public subjects made during a tour in the United States and Canada, by Hugh Seymour Tremeuheere, 1852.