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proportions inattendues : ce qui n’est pour le simple voyageur qu’un objet de curiosité devient pour l’agronome et l’économiste le sujet de recherches qui l’étonnent lui-même par l’immensité de leurs résultats.

Le cultivateur anglais a remarqué, avec cet instinct de calcul qui distingue ce peuple, que le mouton est de tous les animaux le plus facile à nourrir, celui qui tire le meilleur parti des alimens qu’il consomme, et en même temps celui qui donne, pour entretenir la fertilité de la terre, le fumier le plus actif et le plus chaud. En conséquence, il s’est attaché, avant toute chose, à avoir beaucoup de moutons ; il y a dans la Grande-Bretagne d’immenses fermes qui n’ont presque pas d’autre bétail; pendant que nos cultivateurs se laissaient distraire par beaucoup d’autres soins, l’élève de la race ovine était, de temps immémorial, considérée par nos voisins comme la première des industries agricoles. Qui ne sait que le chancelier d’Angleterre, président de la chambre des lords, est assis sur un sac de laine, afin de montrer, par un pittoresque symbole, l’importance que la nation entière attache à ce produit ? La viande de mouton est à son tour aussi populaire que la laine, et fort recherchée en général par les consommateurs anglais.

Depuis cent ans, le nombre des moutons a suivi la même progression en France et dans les îles britanniques : de part et d’autre, il a doublé. On calcule qu’en 1750 ce nombre, dans chacun des deux pays, devait être de 17 à 18 millions de têtes; il doit être de 35 aujourd’hui. La statistique officielle française dit 32 millions, et Mac Culloch arrive exactement au même chiffre pour le royaume-uni, mais de part et d’autre on est, je crois, un peu au-dessous de la vérité. Cette égalité apparente cache une inégalité profonde. Les 35 millions de moutons anglais vivent sur 31 millions d’hectares, ceux de la France sur 53; pour en avoir proportionnellement autant que nos voisins, nous devrions en avoir 60 millions. Cette différence, déjà sensible, s’accroît encore quand on compare à la France l’Angleterre proprement dite; les deux autres parties du royaume-uni n’ont que peu de moutons relativement à leur étendue : l’Ecosse n’en peut nourrir, malgré tous ses efforts, que 4 millions environ; l’Irlande, qui devrait rivaliser par ses pâturages avec l’Angleterre, n’en compte tout au plus que 2 millions sur 8 millions d’hectares, et ce n’est pas là un des moindres signes de son infériorité; la seule Angleterre en a 30 millions environ, sur 15 millions d’hectares, c’est-à-dire proportionnellement trois fois plus que la France.

À cette inégalité dans le nombre vient se joindre une différence non moins importante dans la qualité.

Depuis un siècle environ, indépendamment des progrès antérieurs