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donnée, que l’officiel ne la peut donner jamais. M. Grenville pensait mieux de la sagesse et de la puissance des législations humaines qu’elles ne le méritent réellement. Il supposait, et beaucoup ont à ses côtés supposé avec lui, que le florissant commerce de ce pays devait grandement à la loi, à la réglementation, et pas autant à la liberté; car il n’y a que trop de gens disposés à croire que les règlemens sont du commerce et que les taxes sont du revenu. »


Après avoir montré comment un aveugle attachement aux principes de l’acte de navigation avait conduit Grenville aux mesures financières et législatives qui avaient soulevé l’Amérique, l’orateur rappelle comment il a fallu les révoquer. Or on avait soutenu que cette révocation avait été arrachée à la faiblesse du ministère Rockingham et proposée à regret par Conway, alors secrétaire d’état.


« Mais je veux, mais je dois rendre justice à l’honorable gentleman qui nous guidait dans cette chambre. Bien loin de cette duplicité qu’on lui a indignement imputée, il jouait son rôle avec entrain et résolution. Nous nous sentions tous inspirés par l’exemple qu’il nous donnait, tous jusqu’à moi, le plus faible de la phalange. Je le déclare pour mon compte, je connaissais assez bien à qui l’aurait-on pu cacher? le véritable état des choses; mais de ma vie je ne suis venu le cœur si animé dans cette chambre. C’était pour un homme le moment de s’y montrer. Nous avions des ennemis puissans, mais nous avions des amis fidèles et déterminés, et une glorieuse cause. Nous avions un grand combat à rendre, mais nous avions les moyens de combattre; ce n’était pas comme aujourd’hui où nous avons les bras liés derrière le dos. Nous sûmes combattre ce jour-là, combattre et vaincre.

« Je me rappelle avec un plaisir mêlé de tristesse la situation de l’honorable gentleman qui fit la motion du rappel (le général Conway), dans cette crise où tout le commerce de cet empire inondait nos vestibules, dans une attente inquiète et tremblante, à l’heure presque où paraît l’aurore d’un jour d’hiver, espérant leurs destinées de vos résolutions. Et lorsque enfin vous eûtes prononcé en leur faveur et que vos portes, en s’ouvrant, laissèrent voir la figure de leur libérateur dans le triomphe bien mérité de cette importante victoire, il s’éleva de toute cette grave multitude une explosion involontaire de reconnaissance et de transport. Ils coururent vers lui comme des enfans vers un père longtemps absent; ils se pressaient autour de lui comme des captifs autour de leur rédempteur. Toute l’Angleterre, toute l’Amérique, s’unirent à leurs applaudissemens. Et il ne paraissait pas insensible à la meilleure des récompenses de la terre, l’amour et l’admiration de ses concitoyens, l’espérance dressait et la joie faisait briller son panache. J’étais auprès de lui, et son visage, pour employer l’expression de l’Écriture parlant du premier martyr, son visage était comme celui d’un ange. J’ignore comment les autres sentent, mais, si j’avais une fois connu une semblable situation, jamais je ne l’aurais échangée contre tout ce que les rois peuvent donner dans leur munificence. J’espérais que le danger et l’honneur d’un pareil jour seraient un lien qui nous tiendrait unis pour jamais, mais, hélas! avec bien d’autres rêves heureux cet espoir est dès longtemps évanoui