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PROMENADE EN AMÉRIQUE.

besoin ; il faut s’enquérir de toute chose à tout le monde. Heureusement les Américains répondent volontiers aux questions et en général avec une précision remarquable. À propos des hommes distingués dans la politique, la religion, les sciences ou les lettres, que je trouverai sur mon chemin, je dirai ce que j’aurai observé ou recueilli sur les partis, les sectes, les travaux scientifiques, les productions littéraires, car je tâche que ma promenade en Amérique s’accomplisse à la fois à travers le pays que je parcours et à travers les idées, les mœurs, la vie sociale et intellectuelle de ce pays. C’est dans ce double sens que j’entends une visite au Nouveau-Monde.

Parmi les écrivains renommés de Boston, il en est trois surtout dont la réputation est européenne, et que j’étais impatient de connaître : c’étaient M. Prescott, l’historien d’Isabelle, du Mexique, du Pérou ; M. Bancroft, qui écrit l’Histoire des États-Unis, et M. Ticknor, l’auteur de l’Histoire de la littérature espagnole. Malheureusement, M. Prescott n’est pas à Boston. Tout le monde sait en Europe que M. Prescott est un écrivain judicieux de la famille de Robertson ; on ajoute en Amérique qu’il est un homme aimable et excellent. Je regrette vivement de ne l’avoir pas rencontré ; mais, si je vais au Mexique, j’y retrouverai son histoire. M. Bancroft est également absent ; j’espère le rejoindre à New-York. M. Ticknor a donné la première histoire complète de la littérature espagnole ; il est assez singulier que ce livre soit venu des États-Unis. M. Ticknor a résidé longtemps en Espagne ; il y a formé, à l’aide d’un zèle soutenu et d’une assez grande fortune, une bibliothèque espagnole, sans rivale même dans la Péninsule. Cette bibliothèque a servi de base à un livre remarquable surtout par les notions variées qu’il suppose sur une littérature vaste et en général peu connue. C’est un ouvrage que devront consulter tous ceux qui s’occupent de l’histoire de la littérature espagnole. M. Ticknor a vécu à Paris ; il connaît tout le monde ; il a les manières françaises, et parle notre langue sans le plus léger accent, ce que je n’ai guère rencontré chez les Anglais, mais que j’ai remarqué chez plusieurs de ses compatriotes. Sa bibliothèque est celle d’un dilettante, d’un raffiné de la littérature ; il a sur Dante, sur Shakspeare une foule de raretés et de curiosités bibliographiques, et, comme je l’ai dit, sa collection de livres espagnols est certainement une des plus complètes qu’il y ait au monde.

Encore aujourd’hui, en revenant sur la jetée de Charlestown, j’ai été stupéfait de ces teintes empourprées et dorées du couchant, qui me rappellent les plus éblouissantes soirées de l’Orient. La ville avec ses maisons de briques rouges, et noyée dans un reflet rouge, offrait un spectacle extraordinaire. Nulle part je n’ai vu l’atmosphère plus diaphane, les contours des objets plus nets. Cette lumière ne