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par son génie, par ses instincts, à exercer une grande influence sur le continent, il fallait qu’elle occupât son rang par la puissance territoriale, qui ne s’obtient que par les armes, ou par l’ascendant moral, par le prosélytisme de l’intelligence. La seule manière de faire oublier les traités de 1815, c’était l’action de ce prosélytisme qui supprimait en quelque sorte les frontières. Louis-Philippe semblait avoir résolu ce problème par le développement de la liberté politique et de tous les moyens d’influence pacifique. Sa politique, pour bien des causes, entre lesquelles il faut compter à coup sur la malveillance d’une partie de l’Europe, a été emportée. C’est ce qui fait que les mêmes questions renaissent après lui, et qu’on fait encore des brochures sur les limites de la France.

Ce petit livre des Limites de la France d’ailleurs, à part toute considération actuelle, est loin d’être sans mérite. Il met notamment en relief deux ou trois points des plus importans de la vie politique de notre pays. Ce qu’il montre surtout, c’est que la révolution, bien loin de servir la France dans son développement légitime, dans la formation de sa puissance territoriale, n’a fait que l’arrêter au contraire dans cette œuvre, en brisant ces traditions monarchiques auxquelles se liait son agrandissement progressif, en mettant l’instabilité à la place des gouvernemens durables, en rendant impossibles les pensées suivies et persistantes, les desseins longuement conçus, en énervant enfin le sentiment national. Vous souvenez-vous de ce cri éloquent de M. Cousin dans une de ses pages sur Mme de Longueville : « C’est la fronde qui a commis l’inexpiable crime d’avoir suspendu l’élan de Condé et de la grandeur française ? » Au fond, la révolution, dans des circonstances différentes, a produit le même résultat. De ses victoires et de ses conquêtes éphémères, il ne reste rien, — rien que le souvenir d’une sombre et inutile énergie, et des excès de génie de celui qui la mena tambour battant sur tous les champs de bataille. Ce que l’auteur montre encore, c’est que dans le mouvement des peuples contemporains, tandis que la plupart des puissances européennes se sont agrandies, la France seule est restée stationnaire, ouverte et sans défense par tout im côté de son territoire. Il ne faut pas s’étonner que les esprits se tournent quelquefois vers ces questions où est engagé le problème de la destinée européenne, qu’ils les agitent comme s’il était aussi facile de les résoudre pratiquement qu’en théorie. Il est moins aisé à coup sûr de fixer des frontières véritables sur le terrain, et surtout de les garder, que de les tracer sur le papier ; mais ce n’est point, dans tous les cas, une étude vaine que de se pénétrer, par le spectacle de l’histoire de la France, des conditions de son existence et de sa grandeur, de rechercher de quel côté sont ses alliances naturelles, de s’instruire sur les causes qui ont pu, en certaines heures, amener de si prompts et si terribles revers après des tentatives qui excédaient toute proportion. C’est là l’objet de la littérature politique. Autrefois on dissertait sur la pondération des poijvoirs; à la fin de 1852, on écrit des essais sur les frontières naturelles de la France. Les livres ne peignent-ils pas les temps ?

Mais dans la littérature proprement dite n’y a-t-il point autre chose encore ? Quelle œuvre éloquente se produit ou se prépare ? De quelle merveille l’imagination contemporaine nous a-t-elle comblés dans ces derniers jours ? Quel signe de vie l’esprit littéraire vient-il de donner comme pour saluer l’an-