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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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31 décembre 1852.

Encore une année qui finit, encore une année nouvelle qui commence. La dernière heure de cette période expirante est là et déjà nous échappe, marquant la fuite mélancolique des choses : heure mystérieuse et solennelle, car elle rappelle aussitôt à l’esprit et ce qu’on a fait et ce qu’on a manqué de faire, et les tentatives irréparables, et les espoirs trompés, et les illusions déçues, et tout ce qu’on a laissé en chemin de soi-même. Ainsi les années s’écoulent et tombent en tourbillon dans l’abîme du temps ; chacune a son irrévocable part dans l’histoire, chacune aura son stigmate ou son signe glorieux, et au bout de chacune d’elles revient périodiquement cet instant suprême où on s’arrête, comme au terme d’un voyage, pour mesurer encore du regard cet espace qu’on vient de parcourir, pour embrasser cet ensemble de choses où on ne peut plus rien changer. L’homme dans sa faiblesse a besoin de ces haltes auxquelles la tradition et l’usage ajoutent un caractère particulier ; il aime à poser devant lui sur sa route ces bornes milliaires, sortes de frontières du temps : frontières que l’imagination seule fixe, car en réalité, qu’est-ce qui nous sépare du passé ? qu’est-ce qui nous sépare de l’avenir ? Rien ; quelque chose d’insaisissable, un voile mystérieux et invisible que nous sommes sans cesse occupés à déchirer, et qui se reforme sans cesse devant nous. C’est le lot de la destinée humaine de marcher toujours vers l’inconnu, souvent dans l’inconnu ; c’est la dignité de l’homme de le savoir et d’y pourvoir. Il en a toujours été ainsi ; mais depuis un demi-siècle il semble que chaque moment ait contribué à épaissir le voile devant nos yeux. Les révolutions et les ébranlemens nous ont enlevé la faveur des horizons étendus, des perspectives certaines, des choses durables, en détruisant ou altérant les principes, faute desquels les sociétés, sans sécurité et sans ressort, deviennent le jouet de perpétuels hasards ; ils nous ont fait cette atmosphère épaisse, lourde et brûlante où il nous est arrivé souvent de ne voir qu’à la lueur des éclairs et où chaque phase de notre existence a été marquée par des coups de foudre, de telle sorte que