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luttant, il vient préparer et concerter, avec ses amis, ses moyens de défense et d’attaque dans la maison de celle de ses sœurs qui a épousé le célèbre horloger Lépine, et qui demeure précisément dans le voisinage du Palais-de-Justice. C’est dans cette maison qu’on se réunit, c’est là qu’on apporte les renseignemens, les notes, et qu’on discute les élémens de chaque mémoire. Tous les brouillons sont écrits de la main de Beaumarchais ; tous les morceaux brillans sont refaits par lui trois ou quatre fois. S’il n’exécute pas à la lettre le précepte de Boileau : vingt fois sur le métier, etc., c’est qu’il n’a pas le temps ; il n’en est pas moins vrai que, comme tous ceux qui veulent bien écrire, il corrige beaucoup et recommence souvent. Son premier jet, tracé d’une écriture rapide, est presque toujours trop abondant, trop prolixe, il offre souvent des constructions incorrectes, des expressions trop fortes et de mauvais goût. À la seconde rédaction, Beaumarchais coupe, amende, resserre, épure le tout. S’il lui arrive parfois de se contenter trop facilement, il a des amis prompts à le censurer et qui ne lui ménagent pas les critiques, à en juger par cette note que je trouve écrite de la main de son beau-frère, M. de Miron, au sujet du manuscrit du troisième mémoire qu’on avait sans doute examiné en l’absence de Beaumarchais avant l’impression.


« Bovine, dit M. de Miron, déplaît à tout le monde.

« Ce qui est rayé au bas de la quatrième page paraît absolument de trop et dégoûtant[1].

« Ce qui l’est dans la cinquième semble être de Baculard. On trouve l’exorde trop long. Les avis se réunissent pour raccourcir au moins ce paragraphe.

« Le premier paragraphe de la septième page ne paraît pas clair, à moins qu’on ne retranche pour bien prouver ce que je n’ai fait qu’avancer, et qu’on ne mette, en ce cas, ne plus revenir au lieu de me taire. Voici comme sera la phrase : Que me reste-t-il à faire ? ne plus revenir sur ce que j’ai prouvé, prouver ce que je n’ai fait qu’avancer, et répliquer en bref à une foule de mémoires, etc. »


Beaumarchais fait très-docilement son profit de toutes ces critiques ; aussi les Mémoires contre Goëzman, s’ils ne présentent pas, à cause même de la nature du sujet, tout l’intérêt du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro, n’en sont pas moins le plus remarquable de tous les ouvrages de Beaumarchais sous le rapport du style, celui où les belles qualités de l’écrivain sont le moins mêlées de défauts. Il y a des morceaux d’une perfection achevée. Plus tard, après le grand succès des mémoires, l’auteur devint plus rétif aux observations ; nous en verrons la preuve et la conséquence aux

  1. On voit que ses amis poussaient la liberté jusqu’à rayer provisoirement sur son manuscrit ce qui leur déplaisait.