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PROMENADE EN AMÉRIQUE.

un jeune cocher de fiacre auquel M. Sedgwick me recommande après avoir causé un moment politique avec lui. Je quitte le bateau, chargé de lettres de recommandation, comblé d’invitations cordiales pour toutes les parties des États-Unis ; je n’ai pas lieu de me plaindre jusqu’ici.

Il est vrai que je n’ai pas trouvé les cochers américains aussi aimables que les gentlemen. Celui qui parlait si bien sur les affaires de Cuba, et qui devait me conduire à l’hôtel d’Astor pour un demi-dollar, a exigé le double. J’ai fait ce que j’aurais fait en Europe, j’ai demandé en arrivant ce que je devais donner. Deux messieurs étaient au bureau ; je me suis adressé à l’un d’eux en lui montrant ma lettre de recommandation pour le propriétaire de l’hôtel. Je dois dire qu’on n’a pas eu l’air de faire la moindre attention à ma lettre, et que l’un des deux employés, sans me répondre, a remis un dollar au cocher avec une facilité qui eût été pleine de bonne grâce s’il eût tiré l’argent de sa poche.

Bientôt le tam-tam, qui remplace la cloche du dîner ici comme à bord, m’a averti d’aller m’asseoir à une table d’hôte de deux cents couverts ; je n’ai eu aucune peine à me placer ; on ne se précipitait point sur les plats. Suivant l’usage universel aux États-Unis, on buvait de l’eau glacée. Un menu qu’on imprime chaque jour était placé près de chaque convive, et, sur un signe, on était servi par des garçons qui ne manquaient point d’empressement, quoique, ignorant l’usage américain, j’eusse négligé de stimuler leur zèle en donnant d’avance un pour-boire à celui qui, dès lors, se charge spécialement de votre personne. En revanche, on ne donne rien pour le service en partant. Le dîner n’a pas été long, mais il ne m’a pas semblé démesurément rapide. On était très silencieux : ce silence n’était interrompu que par les bouteilles de vin de Champagne, dont les bouchons sautaient en l’air ; mais je n’ai pas un tel goût pour les conversations de table d’hôte que j’en aie beaucoup regretté l’absence.

Je ne connais pas de plus grand plaisir en voyage que d’errer au hasard dans une ville inconnue. Chaque ville, en effet, a sa physionomie, son air, et jusqu’à ses bruits particuliers. Ici cet intérêt est plus vif encore. Arrivé depuis quelques heures en Amérique, cette nouvelle ville est en même temps pour moi un nouveau monde. Je suis longtemps la Large Rue (Broadway), et, au mouvement des voitures et des omnibus, je pourrais presque me croire à Londres, dans le Strand. Je marche pendant une heure entre de beaux magasins. Broadway, c’est la rue Vivienne de New-York ; mais cette rue est plus longue que l’avenue des Champs-Élysées. Ce vacarme, cet éclat, font un singulier effet quand depuis onze jours