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vantage était du côté de l’auteur des mémoires. Aussi la réponse ne se fait pas attendre : « Le gazetier de France, dit Beaumarchais, se plaint de la fausseté des calomnies répandues dans un libelle signé, dit-il, Beaumarchais-Malbête, et il entreprend de se justifier par un petit manifeste signé Marin, qui n’est pas Malbête. »

Si les mémoires de Marin n’étaient que plats, on pourrait trouver cruelles les réponses de Beaumarchais ; mais ils sont d’une méchanceté vile et sournoise qui irrite et indigne. Marin prend l’air d’un homme sensible déplorant l’ingratitude de Beaumarchais. Faisant allusion au procès La Blache, il s’écrie : « Il le perdit, ce procès qui compromettait si singulièrement son honneur et sa fortune ; il me fit part de ce malheur, j’en fus touché, et je courus lui porter dans sa prison le seul secours qui fût en mon pouvoir : celui de le plaindre et de le consoler. Il obtint enfin sa liberté, vint me remercier de mes soins, et, quoi qu’il y eût chez moi plusieurs personnes, il se livra à son indiscrétion ordinaire, et se permit des propos plus qu’imprudens et contre son rapporteur, et contre sa partie, et contre… » (L’honnête Marin met ici plusieurs points : cela veut dire contre le parlement et contre le gouvernement ; puis il continue) : « J’en fus affligé par l’amitié dont je le croyais digne, et je lui en fis des reproches. » C’est la délation politique, on le voit, pratiquée bassement, par insinuation et avec réticence. Les passages de ce genre abondent dans ses mémoires : « Ah ! si j’étais capable, s’écrie-t-il ailleurs, d’abuser de ces effusions que l’amitié motive, pardonne et oublie… (Ici encore des points.) Il ne se souvient donc pas des propos qu’il a tenus et chez moi et ailleurs en présence de plusieurs témoins, et qui lui attireraient une peine un peu plus grave que celle qu’il pourra encourir par le jugement à intervenir. » Honnête et sensible Marin ! la peine qui menace Beaumarchais, c’est omnia citrà mortem, et cela ne suffit pas au gazetier ! — En effet, dans un autre mémoire, il écrit fort naïvement : « Quand la calomnie répandue dans un libelle déchire la réputation d’un citoyen honnête, ceux qui en sont les auteurs doivent être soumis à des peines afflictives, souvent même à la peine capitale. » Aussi a-t-il soin de répéter sans cesse que Beaumarchais parle des ministres et des personnes en place avec une hardiesse punissable ; qu’il attaque la religion et le gouvernement, que si lui, Marin, n’était pas trop doux pour abuser de ses avantages, il pourrait prouver jusqu’à l’évidence que son adversaire a commis des crimes atroces et qu’il est le dernier des scélérats ; « mais il n’est pas, dit-il, dans mon caractère de faire du mal à mes propres ennemis. » Ce ton hypocrite d’un homme qui cherche à poignarder les gens par derrière en ayant l’air de les ménager révoltait à bon droit les consciences, et lorsqu’on voyait Beaumar-