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démontrer ici[1] que les Anglais et les Chinois sont également intéressés à vivre en bonne intelligence, et qu’ils doivent, au besoin, pratiquer la politique des concessions plutôt que de se lancer dans les aventures d’une nouvelle guerre. La même opinion est exposée et défendue avec beaucoup plus d’autorité par l’ancien gouverneur de Hong-kong. Toutes les idées ne sont-elles pas aujourd’hui tournées vers la paix? La paix n’est-elle pas en quelque sorte le mot d’ordre de tous les empires? Plus qu’aucun autre, l’empire chinois, épuisé d’argent et déchiré par des révoltes intérieures, doit se montrer conciliant à l’égard des puissances étrangères et prévenir les éventualités d’une seconde lutte, qui ne serait pour lui qu’une seconde humiliation, car il ne paraît pas que, depuis 1842, il ait amélioré ses moyens de défense ni fait apprendre l’exercice à son armée.

On pourrait croire que le gouvernement impérial, à peine délivré des Anglais, s’empressa de mettre à profit la rude leçon qui venait de lui être infligée, qu’il comprit la nécessité de se ménager des alliances et de réformer l’organisation de ses troupes. Plusieurs mandarins osèrent en effet appeler l’attention de la cour sur les mesures de salut public que réclamait l’avenir des relations désormais établies avec les nations européennes. Malheureusement la guerre a partout en Chine introduit le désordre, et le jeune successeur de Tao-kwang a hérité d’une bien lourde tâche! Pendant que les Anglais envahissaient le territoire, les généraux chinois imaginèrent de distribuer dans les villes et jusque dans les moindres villages une grande quantité de fusils, qui furent particulièrement recherchés par les pirates et les voleurs. Le brigandage a pris, depuis cette époque, un développement inouï, et il est probable que les armes ainsi gaspillées en 1841 et 1842 se trouvent aujourd’hui entre les mains des rebelles du Kwang-si. A Canton, Kying eut l’idée malencontreuse de créer une sorte de garde nationale qui ne tarda pas à écouter la voix des démagogues, à ouvrir des clubs et à menacer le gouvernement. N’est-il pas permis de sourire à la lecture de ces curieux détails, qui peignent trop fidèlement la situation intérieure de la Chine? Mais, au fond, que penser d’un pays où les autorités ne savent pas même arrêter les voleurs? Peuple étrange, qui conserve toujours à nos yeux son caractère grotesque, et qui ne peut échapper à notre gaieté, alors même qu’il apparaît au milieu de ses désastres ! — Nous venons de lire quelques pages de son histoire, écrite en quelque sorte par lui-même; nous avons vu les proclamations victorieuses des mandarins, les éloquentes colères des lettrés, la majestueuse sérénité de l’empereur; nous avons assisté aux scènes à la fois tristes et ridicules qui se sont succédé pendant le cours de ce long drame où se jouaient les destinées du Céleste Empire. Eh bien ! cette nation, si naïve en apparence, est douée d’une intelligence supérieure : elle est lettrée, délicate, polie; elle a reçu depuis des siècles les lumières de la civilisation, mais elle n’est point sociable. Voilà son erreur, voilà le crime, qu’elle expie cruellement. Voilà l’explication de sa honteuse défaite. Jamais Dieu n’a consacré en caractères plus éclatans les droits et les devoirs sur lesquels repose la société humaine.


C. LAVOLLEE.

  1. Voyez la Revue du 15 février 1851, la Politique européenne en Chine.