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PROMENADE EN AMÉRIQUE.

aujourd’hui. La nièce de Mme Siddons a sur le front, dans le regard, dans tout l’ensemble de sa personne, un reflet de Melpomène. Bien des choses se sont passées depuis qu’elle écrivait ce qu’elle appelle aujourd’hui ses impertinences sur les mœurs américaines et ses courses à cheval au bord de l’Hudson, et les vers charmans que ces lieux lui inspiraient. Quoiqu’elle ait emporté de tristes souvenirs du pays qu’elle avait choisi, elle comprend mieux aujourd’hui les avantages sociaux de ce pays, où, me disait-elle, on a le sentiment que personne ne souffre de la misère autour de vous ; mais elle paraît refroidie sur les beautés naturelles qu’il peut offrir. Pour moi, je m’en tiens, sous ce rapport, à ses impressions de vingt ans.

M. Sedgwick, avec lequel j’ai le bonheur de faire la traversée, est un avocat et un jurisconsulte éminent de New-York ; il a toute la vivacité d’esprit et tout l’entrain qu’on attribue à nos compatriotes. Du reste, en vrai voyageur américain, il ne se presse point, regarde tranquillement sa montre, et déclare que nous avons encore un quart d’heure pour nous rendre à bord, comme s’il s’agissait d’aller de Paris à Saint-Cloud. Les dames ne sont pas plus agitées que lui. En effet, nous arrivons à temps, et au bout de deux heures nous sommes sur le Franklin, parti ce matin du Havre, et qui attendait à Cowes, dans l’île de Wight, la correspondance de l’omnibus à vapeur de Southampton. Nous ne partirons pas ce soir, parce qu’il y a du brouillard. Cette prudence chez un capitaine américain m’étonne ; mais M. Wooton est un officier aussi sage que hardi. Pour tempérer l’audace naturelle aux marins des États-Unis, le capitaine d’un bateau à vapeur de cette compagnie doit avoir 28,000 dollars à bord, environ 150,000 francs.


28 août.

Je me suis levé avant que le bâtiment fût en marche. Tout à coup les roues ont commencé à tourner, et nous voilà en route pour l’Amérique.

Tandis que nous longions l’île de Wight, un Américain m’a dit : C’est à peu près comme Long-Island, en face de New-York. Le premier trait de caractère que je remarque sur ce bâtiment où la grande majorité des passagers appartient aux États-Unis, c’est l’occupation constante et la glorification perpétuelle de la patrie. L’Amérique est l’idée fixe des Américains : la conviction de la supériorité de leur pays est au fond de tout ce qu’ils disent ; on la retrouve même dans l’aveu de ce qui leur manque. Ainsi chacun a soin de me prévenir qu’il ne faut pas m’attendre à trouver dans une société nouvelle les raffinemens des vieilles sociétés de l’ancien monde : rien de plus sensé ; mais dans cet empressement à m’avertir de ce qu’il ne faut