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grade, dans la sanglante mêlée de vingt-quatre heures prolongée pendant deux jours, et qui coûta quarante mille hommes à Mahomet II, des moines désarmés, le crucifix à la main, bravaient le danger pour encourager les combattans chrétiens, en répétant à haute voix l’exorcisme et l’anathème lancés par le pape sur la comète et sur les musulmans. C’est à la même époque, pour la même cause et par le même pape frappé de terreur (territus Calixtus papa), que fut établi l’usage encore subsistant de sonner les cloches au milieu du jour pour la prière dite Angélus de midi. Il n’y avait pour les comètes pas plus de sceptiques parmi les chefs de nations que parmi les plus humbles hommes dans tous les peuples de cette époque.

Et de même un siècle plus tard, en 1556, Charles-Quint ne douta nullement que la grande comète que nous attendons maintenant de 1856 à 1860, et qui était une comète de premier ordre, n’adressât ses menaces à celui qui tenait le premier rang parmi les souverains. Voilà donc, dit-il dans un vers latin, mes destinées qui m’appellent par ces présages !

His ergo indiciis me mea fata vocant.

Il cessa d’être souverain, pour éviter ainsi la fatalité qui s’adressait à une tête couronnée et qui devait ou pouvait épargner un homme sans autorité. C’est donc à tort que Képler l’accuse de s’être trompé sur les pronostics de cette comète, parce qu’il y survécut plus de deux ans : son abdication fut la suite du préjugé alors universel. « Voilà bientôt deux ans que votre père a abdiqué, disait-on à Philippe II, son fils. — Voilà bientôt deux ans qu’il s’en repent, » répondit-il. Il n’y a pas à douter que la comète ne l’ait fait descendre du trône.

Ce sont les théories astronomiques de Newton, de Halley et de leurs successeurs qui ont véritablement détruit l’empire imaginaire des comètes. Elles nous ont montré ces astres assujettis à des mouvemens réguliers, calculables d’avance, et aussi infaillibles que le lever et le coucher du soleil. Ces théories ont fait ce que n’avaient pu faire tous les raisonnemens des philosophes, des moralistes et des théologiens. Sénèque, avec les pythagoriciens, admettait comme nous que les mouvemens des comètes n’avaient rien de fortuit. La postérité, dit-il, s’étonnera que nous ayons méconnu des vérités si palpables ! Belles paroles qui, pendant seize siècles, ne furent point entendues ! En fait de superstitions cométaires, nous sommes la postérité, non point du siècle de Sénèque, mais seulement du siècle qui a précédé Newton.

J’aurais bien des choses à ajouter, si je voulais suivre toutes les questions et les demandes qui m’ont été adressées de vive voix ou par écrit ; mais ce n’est pas la dernière fois que j’aurai à m’occuper ici d’astronomie et de géographie physique. Voici un fait qui n’est pas moins étonnant, quoique reproduit tous les jours ; il répondra à une question sur le télégraphe électrique dont j’ai dit un mot dans un article précédent. Avant-hier un de mes amis entre au bureau de la poste télégraphique. Il écrit à Marseille ; il reçoit une réponse. Il était resté dix-sept minutes dans le bureau de poste ! Voilà la science usuelle en 1853.

Babinet, de l’Institut

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V. de Mars.