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nier de droite a manqué s’abattre pendant la descente, vous avez même fait un mouvement en arrière sous le cabriolet…

— C’est vrai, dit Lazare ; j’ai eu peur de verser. — Eh bien ! Zéphyr ?

— Eh bien ! monsieur Lazare, moi, j’ai fermé les yeux, j’ai joint les mains, et j’ai prié le bon Dieu.

— Ta prière m’a porté bonheur, fit l’artiste ; nous n’avons pas versé.

— Ce n’est pas cette prière-là que j’avais faite, — dit Zéphyr en baissant les yeux. — Dame, reprit-il, monsieur Lazare, vous m’avez dit de tout vous dire, je vous dis tout ; je n’ai pas besoin de vous dire le reste ; vous savez ce qui est arrivé.

— Et tu sais que, si Protat se doutait que tu songes à sa fille, il te renverrait ?

— Aussi ne le lui apprendrez-vous pas, répliqua Zéphyr. Vous m’avez dit que vous étiez mon ami.

— Mais, après les bonnes intentions que vous aviez à mon égard, je ne sais pas si je dois vous conserver mon amitié, fit l’artiste en riant.

— Oh ! monsieur, dit Zéphyr, hier j’étais fou !… fou, voyez-vous ! ajouta-t-il en frappant du pied.

— Et depuis hier, tu as donc laissé ta passion au fond de l’eau ?

— Non, monsieur, dit Zéphyr fermement, et il ajouta en montrant son cœur : — Elle est là, toujours ! Seulement, au lieu d’en mourir, j’en vivrai.

Par le récit qui venait de lui être fait et surtout dans des termes qui l’avaient souvent ému, Lazare s’était convaincu qu’il pouvait parler, avec la certitude d’être compris, à l’apprenti du sabotier. Comme il l’avait présumé la veille, ce n’était point à un enfant ni à une amourette qu’il avait affaire. Il raisonna donc l’apprenti comme il eût raisonné un ami de son âge et de sa condition, se faisant à la fois persuasif et affectueux. Zéphyr lui répondit que toutes ses remontrances, il se les était lui-même cent fois adressées.

— Mais, mon pauvre ami, lui dit Lazare, songe donc qu’Adeline est la fille la plus riche du pays, et que son père ne la donnera qu’à un homme au moins aussi riche qu’elle.

— Et vous, monsieur Lazare, êtes-vous riche ?

— À peu près comme toi, répondit le peintre en allant au-devant de là crainte que l’apprenti semblait manifester dans cette interrogation. Sois tranquille, je n’épouserai pas Adeline, et toi ou moi nous sommes des gendres trop gueux pour le père Protat. Et puis je n’aime pas Adeline. — Mais ce n’est pas tout, reprit Lazare, il te reste