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ADELINE PROTAT.

que donne la passion, l’apprenti avait deviné celle qui commençait à troubler le cœur d’Adeline, avant que celle-ci y songeât peut-être. Il avait remarqué, si doucement qu’elle lui parlât toujours, que la jeune fille trouvait à mettre une autre douceur dans ses paroles, quand elle s’adressait à Lazare. Il la voyait trembler sous l’innocent baiser du jeune homme, comme il avait lui-même pâli et tremblé sous le sien. Il s’aperçut en outre qu’Adeline s’occupait moins de lui depuis que le peintre résidait à Montigny, qu’habituée à dormir la grasse matinée, elle se levait avant tout le monde pour rencontrer Lazare avant qu’il ne partît pour l’étude. Il la voyait dans le jardin, cueillant les plus beaux fruits pour les glisser dans le bissac de l’artiste. Enfin, quand celui-ci était parti pour Paris, la tristesse d’Adeline n’avait point échappé à Zéphyr, qui, tout en haïssant Lazare, ne lui laissait rien voir de cette haine. Le jour du départ de ce dernier, l’apprenti ne l’avait pas quitté d’un instant. Après avoir mis le peintre en voiture à Bourron, Zéphyr était revenu plus joyeux à Montigny. Il pensait que, son rival parti, il allait, comme autrefois, avoir part entière aux bons soins et aux caresses de la jeune fille ; mais il l’avait, au contraire, trouvée plus triste et plus indifférente à son égard. Le jour, elle passait des heures entières dans sa chambre ; la nuit, à travers sa cloison, il l’entendait se relever et fouiller dans les meubles.

Ce fut alors qu’un soupçon traversa l’esprit de Zéphyr, rapide et brûlant comme une flèche de feu. Il avait fait un trou dans la porte et avait espionné Adeline ; il l’avait surprise pressant sur son cœur et portant à ses lèvres des objets qu’elle prenait dans le tiroir de son petit meuble. Longtemps la jalousie l’avait porté à violer ce secret, longtemps aussi un sentiment d’honnêteté l’avait retenu ; puis était arrivée tout récemment l’annonce du retour de Lazare. La joie qu’Adeline avait témoignée avait rendu Zéphyr fou de douleur et de jalousie. Pendant trois nuits, il n’avait pas dormi ; pendant trois jours, il était allé errer sur les bords du Loing ; trois fois il s’était attaché des pierres aux jambes en regardant l’eau. Enfin, le matin du retour de l’artiste, et avant d’aller au-devant de lui, Zéphyr avait profité du voyage qu’Adeline avait fait à Moret ; il avait forcé la porte condamnée qui séparait les deux chambres ; il avait trouvé la clé du meuble ; il avait ouvert le tiroir et emporté les objets qu’il contenait.

— Quand j’ai été au-devant de vous, monsieur Lazare, dit Zéphyr en terminant son récit, je m’étais condamné à mort ; je ne pouvais plus vivre. Le père Protat m’aurait battu avec des barres de fer rouge, que je n’aurais rien senti. Oh ! tenez, quand je vous ai vu sur l’impériale de la voiture au père Orson, il y a eu un moment où le timon-