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rapidement la face du globe, ne doivent pas être méprisés, quelque admiration que méritent les statues de Phidias et les vers de Dante ou d’Homère. Or, de notre temps, il s’est formé ou plutôt il se forme une société à laquelle un immense avenir semble promis. Nulle part sous le soleil une plus grande activité n’est déployée dans le champ de la civilisation nouvelle. J’ai été tenté de donner à mes yeux et à mon esprit ce spectacle après tant d’autres spectacles. Ajouterai-je que le beau livre de M. de Tocqueville sur la Démocratie en Amérique et les entretiens de l’illustre auteur, qui veut bien m’appeler son ami, ont encore excité mon désir en l’éclairant ? Dirai-je enfin que, sur ce continent utilitaire, à travers la fumée des usines et des locomotives, j’ai entrevu, pour les curiosités du savoir, quelques antiquités sur les bords de l’Ohio et sur le plateau mexicain ; pour les plaisirs de l’imagination une poétique nature, la chute du Niagara, les palmiers des tropiques ? Je m’arrête ; j’en ai dit assez pour m’excuser d’écrire, si, en finissant, le lecteur me pardonne d’avoir écrit.


27 août 1851. Southampton.

Hier j’étais à Londres, dans le palais de cristal. Je viens d’assister à l’exposition universelle, le premier fait vraiment universel dans l’histoire des hommes. Oui, c’est la première fois, depuis le commencement du monde, que les hommes font quelque chose en commun, que tous les peuples se réunissent dans l’unanimité d’une même entreprise, sans distinction de patrie, de race ou de croyance : événement mémorable et prophétique, car il annonce et inaugure, pour ainsi dire, l’unité future du genre humain.

Aujourd’hui je vais quitter l’Angleterre pour les États-Unis ; je vais aller contempler dans toute la liberté de son action cette puissance de l’industrie, dont j’ai admiré à Londres les résultats cosmopolites ; mais avant de laisser derrière moi le rivage de l’Europe, je demande la permission de raconter une rencontre que j’ai faite et qui a été pour moi une piquante et gracieuse anticipation de l’Amérique.

Dans le wagon qui m’a amené de Londres à Southampton, ainsi qu’un Américain très-distingué, M. Sedgwick, avec lequel je vais m’embarquer, se trouvait une dame anglaise, qui accompagnait la mère et la sœur de M. Sedgwick. Cette dame me frappa tout de suite par la fermeté de son langage et le tour original de son esprit : c’était Fanny Kemble, dont le capricieux et poétique volume sur les États-Unis, vrai livre de jeune fille, m’avait charmé il y a bien des années, et, bien qu’un peu sévère pour les mœurs américaines, m’avait donné pour la première fois l’envie de faire le voyage que je fais