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se couvrent à peine d’une végétation avare : gazon ras et clair-semé où la cigale ne peut se cacher à l’oiseau qui la poursuit ; pâles lichens couleur de soufre, qui semblent être une maladie du sol plutôt qu’une production ; créations éphémères d’une flore appauvrie ; plantes maladives sans grâce et sans couleur, dont la racine est déjà morte quand la fleur commence à s’ouvrir, qui redoutent à la fois le soleil et la pluie, qu’une seule goutte d’eau noie, qu’un seul rayon dessèche. Au bord de la grande mare, deux énormes buissons, surnommés les Buissons-aux-Vipères, enchevêtrent et hérissent leurs broussailles hargneuses, mêlant aux dards envenimés des orties velues l’épine de l’églantier sauvage et les ardillons de la rose grimpante, qui va tendre sournoisement parmi les pierres les lacets de ses lianes dangereuses aux pieds nus. Terrains lépreux ou fondrières, eaux croupissantes, arbustes agités incessamment par des hôtes venimeux, — tel est l’aspect de la mare qui donne son nom à l’endroit ; mais cette aridité et cette désolation même prêtent un relief puissant aux splendeurs du cadre qui les environne. Qu’une vache se détache du troupeau et vienne boire à cette eau croupie ; qu’une paysanne s’agenouille au bord, pour laver son linge ou plutôt pour le salir ; qu’un bûcheron vienne aiguiser sa cognée sur le roc, et ce seront autant de tableaux tout faits, que le peintre n’aura qu’à copier. Aussi la Mare aux Fées est-elle de préférence le lieu choisi par les artistes qui vont à Fontainebleau dans la belle saison : ceux qui habitent les confins éloignés de la forêt y viennent souvent, ceux qui résident dans les environs y viennent toujours.

Lorsque Lazare et son compagnon débouchèrent sur le plateau, le soleil commençait à cribler de flèches lumineuses les futaies des Ventes à la Reine, qui le bordent d’un côté, et l’on entendait, dans les profondeurs d’un chemin creux, les clochettes d’un troupeau que le vacher matinal amenait au dormoir du pays.

— Ne restons pas là, dit Lazare à Zéphyr, dans une heure tous les rapins des environs vont venir planter leur parasol autour de la mare, et le plateau aura l’air d’un carré de champignons.

Comme pour justifier les craintes qu’il venait de manifester, au même instant où Lazare achevait de parler, un groupe de jeunes gens arrivaient sur le plateau par un autre chemin. Un âne, guidé par un paysan, était chargé de chevalets, de boîtes de couleurs et de havresacs. Au milieu de ce groupe marchait un personnage qui paraissait plus âgé que ses compagnons, et à qui ceux-ci semblaient témoigner une respectueuse attention. Lazare s’aperçut de loin que le monsieur qui semblait conduire les autres portait la décoration rouge sur son paletot d’été. Le groupe passa bientôt devant Lazare, qui s’était ar-