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ADELINE PROTAT.

— Et il y a longtemps que vous étudiez ? continua Zéphyr.

— Il y a quinze ans.

— Alors vous devez être quasiment comme maître, et parfait maître dans votre partie ?

— Un apprenti, Zéphyr, un modeste apprenti. Ainsi juge un peu où tu serais, si on t’avait mis dans ma partie, toi qui en sept ou huit ans n’as point pu apprendre à faire une paire de sabots !

— Ah ! fit Zéphyr en rétablissant sur son épaule l’équilibre de son fardeau d’un port plus léger que commode, il y a beau temps que je sais les faire, les sabots.

— Ah ! bah ! exclama Lazare en s’arrêtant au milieu du chemin.

— Mais, oui, reprit l’apprenti en s’arrêtant aussi et en examinant quel effet cette révélation venait de produire sur son compagnon.

Au même instant, ils étaient arrivés à la croix qui est au bout du pays. Tout droit devant eux commençait la route sablée qui traverse les Longs-Rochers ; à gauche, le pavé qui conduit à Bourron et à Marlotte. Par ce chemin, en traversant ce dernier village, on trouvait au bout un sentier qui en se raidissant aboutit à la Mare aux Fées. Par les Longs-Rochers, route plus courte, mais rendue fatigante par les pulvérisations de grès qui ont fini par s’ensabler, on pouvait également arriver à la mare ou au plateau, comme on la désigne encore à cause de sa situation élevée. — Quel chemin voulez-vous prendre ? demanda Zéphyr en s’arrêtant à la croix et en regardant Lazare, encore abasourdi par le dernier mystère que l’apprenti venait d’ajouter à tous ceux qu’il s’était donné la mission de pénétrer.

— Prenons le plus court, dit l’artiste, voulant, par cette concession faite à la paresse de son compagnon, le disposer favorablement à subir la question qu’il méditait de lui appliquer.

Zéphyr, à qui le choix de la route était abandonné, parut hésiter un instant. — Il y a du vent, dit-il en regardant un peuplier qu’une brise assez fraîche inclinait en face de lui.

— Petit vent, fit Lazare ; c’est bon le matin, ça réveille. Et il ajouta en voyant que l’apprenti hésitait toujours : — Qu’est-ce que ça peut nous faire que le vent souffle d’un côté ou d’un autre ? Nous ne marchons pas à la voile.

— Ça peut nous faire, répliqua tranquillement Zéphyr, que si nous prenons par-là, — et il montrait les gorges des Longs-Rochers, — nous aurons du sable jusqu’aux genoux, et que le vent nous en soufflera plein les yeux ; mais par ici, dit-il en regardant l’autre route, c’est le plus long.

— Quand il y aurait encore deux cents pas de plus, fit Lazare impatienté.

— Eh monsieur ! reprit Zéphyr, deux cents pas de plus ou de