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ADELINE PROTAT.

et en descendant chaque marche il prit tant de précautions, que c’était à peine s’il se sentait descendre lui-même. Une fois dans le jardin, il trouva l’échelle, l’appliqua au mur et fit descendre l’apprenti.

— Nous allons ? demanda celui-ci, qui était déjà chargé du carton et de la chaise de Lazare.

— Nous allons à la Mare aux Fées.

— Deux lieues, répliqua Zéphyr, et il fit la grimace.

— Bon, pensa Lazare, il n’a pas laissé sa paresse au fond de l’eau. Et il répondit : — Si tu n’es pas content, je t’emmène à la Mare aux Corneilles.

— Quatre lieues alors ! fit Zéphyr avec un mouvement d’effroi.

— Et si tu n’es pas encore content, ajouta Lazare, nous pousserons jusqu’à Arbonne.

Zéphyr leva le nez en l’air comme s’il eût cherché à calculer les distances.

Lazare montra cinq doigts d’une main et trois de l’autre.

— Huit lieues, dit Zéphyr en laissant tomber le carton et la chaise.

— Ramasse-moi ça bien vite. Comment, tu te plains déjà, drôle, pour deux méchantes lieues ?

— Oh ! d’ici à la mare, fit Zéphyr, il y a bien une borne en plus.

— Mais tu n’as que le carton et la chaise à porter, ça ne pèse rien.

— Oui, mais il y a le bissac qui est lourd, le bissac, continua Zéphyr en inclinant la tête du côté de la cuisine.

Lazare ne put s’empêcher de sourire ; il avait compris. L’apprenti faisait allusion au grand sac dans lequel les artistes emportent leurs provisions de vivres quand ils vont travailler dans un endroit éloigné de la forêt.

— L’appétit revient, dit Lazare en lui-même, et il ajouta en regardant l’apprenti : Tu as déjà faim ?

— Déjà ! répondit Zéphyr, voilà quasiment plus de trois jours que je n’ai ni mangé ni bu.

— Ah ! fit Lazare, je croyais que tu avais bu hier, et un bon coup encore.

Zéphyr feignit de n’avoir pas entendu l’allusion, et se dirigea vers la salle à manger, qui ouvrait sur le jardin.

— Oh ! fit Lazare en le suivant, le cri de la nature… Mais, dit-il à Zéphyr, je n’ai point prévenu Madelon que j’allais en forêt ce matin ; elle n’aura point préparé le sac.

— Je vais le préparer donc, répondit Zéphyr.

— Mais les clés pour ouvrir l’armoire ? Tu sais bien que Madelon les retire, dit Lazare.

— Oui, mais il y a un an Madelon a perdu une clé. Je ne sais pas comment ça se fait, dit Zéphyr en baissant la tête, mais…