Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1178
REVUE DES DEUX MONDES.

les grâces de votre personne et les agrémens de votre esprit. Eh ! au fait, s’écria Lazare en faisant un saut qui fit bondir sa pantoufle au plafond, je suis encore bien bon de me donner tant de mal que ça. Cette petite ne m’aime pas sérieusement, et il n’y a aucunement péril en la demeure. Ce qu’elle éprouve pour moi, c’est l’habituelle amourette des petites filles, c’est la première fermentation de l’imagination éveillée par des lectures de romans. Je suis sûr que sa cervelle est une bibliothèque de fadaises sentimentales. Romans et rubans, c’est avec ça qu’on amuse les fillettes dans le beau monde où son père est si fier de l’avoir fait élever. Le premier joli garçon qui se présente est habillé en Galaor par l’innocent caprice d’une innocente. C’est là mon histoire avec Adeline. J’ai été trop prompt à m’alarmer, et, sans doute parce que ma vanité y trouvait son compte, je me suis trop dépêché de crier au feu — pour une étincelle. Eh bien ! non, reprit Lazare après avoir secoué la tête en manière de doute, non, je ne me trompe pas, et il n’y a point de quoi rire dans tout cela. C’est mieux qu’une fantaisie passagère, ou plutôt c’est pis : Adeline m’aime pour de bon ; c’est bien l’allure de la passion qui va droit devant elle, et sans savoir où elle va ; tous mes souvenirs du passé, toutes mes observations d’aujourd’hui l’attestent. À cause de moi, cette enfant va souffrir beaucoup. Il faut au moins qu’elle ne souffre pas longtemps ; il faut que, le jour où la porte de cette maison se refermera derrière moi, Adeline ne pleure pas mon départ et n’espère plus mon retour. Comment opérer cette conversion ? Les moyens sont à trouver, et c’est en cherchant qu’on trouve.

Quant à Zéphyr, continua Lazare, j’avoue que celui-là m’étonne et m’intrigue encore davantage, non point que ce soit précisément la précocité de sa passion qui me surprenne, — on en a vu des exemples, — mais il est rare qu’à cet âge la passion procède avec ces violences. Zéphyr amoureux d’Adeline et jaloux de moi ! à quinze ans ! cela peut faire rire d’abord ; mais Zéphyr allant se jeter à l’eau, cela fait songer, et j’y songe. Qui diable aurait deviné cela sous cette lourde enveloppe ? — Étrange, tout à fait étrange ! murmurait Lazare. Heureusement, poursuivit-il, que le père Protat est déjà mieux disposé pour lui, et qu’il me l’abandonne : je pourrai étudier ce mystérieux gamin qui a les passions d’un homme, car, pour choisir un remède et l’appliquer utilement, il ne suffit pas de connaître le mal, il faut en découvrir l’origine. Oui, mais Zéphyr voudra-t-il me donner sa confiance ? J’en ai besoin, et tout entière. Son bain de tantôt paraissait avoir un peu refroidi sa jalousie, il était moins farouche avec moi ce soir ; mais demain sera-t-il dans les mêmes dispositions ? Voudra-t-il croire à mon intérêt ? Il est rusé sous son air bête. Bon, fit Lazare, j’ai un moyen de lui prouver que je suis son ami.

Et l’artiste, ayant sauté à bas de son lit, s’approcha de la table qui