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ADELINE PROTAT.

— Ah ! ah ! ah ! fit-il en ouvrant la bouche pour un immense éclat de rire ; ah ! ah ! ah ! quelle idée vous avez là ! Oh ! que c’est donc drôle ! Ah ! ajouta le sabotier en se tenant les côtes, ça fait mal de rire comme ça ! mais c’est plus fort que moi, voyez-vous ? Zéphyr, Adeline… Où diable allez-vous donc chercher vos comparaisons, vous autres artistes ?

— Bon, pensa Lazare, voilà pour l’étonnement : je m’y attendais bien. — Et il répondit : — Nous prenons nos comparaisons dans notre métier. Il y a au Louvre un tableau intitulé : les Accordailles, où un honnête paysan comme vous donne sa fille en mariage à un brave garçon de l’endroit ; le groupe que vous formiez tantôt avec la petiote et Zéphyr m’a rappelé ce tableau, et de là est venue naturellement ma comparaison.

— Est-ce que le père me ressemble ? demanda Protat.

— C’est une bonne tête de brave homme comme la vôtre. Il a l’air de dire en regardant son gendre : J’en aimerais mieux un autre ; mais puisque ma fille préfère celui-là, ma foi, ça la regarde : c’est elle qui épouse après tout, et pas moi.

— Il pense bien, ce père-là, reprit Protat ; s’il y a une inclination entre les deux jeunes gens, faut jamais se mettre en travers. C’est mauvais, ça.

— Ainsi, dit Lazare avec un mouvement de vivacité aussitôt réprimé, vous ne contrarieriez pas le choix de votre fille, quel qu’il fût ?

— Quel qu’il soit… fit le bonhomme en hésitant, c’est encore à savoir. Avec la brillante éducation qu’elle a reçue, vous pensez bien que ma fille ne pourra jamais penser qu’à épouser un homme très distingué.

— Enfin, poursuivit l’artiste, si Adeline vous disait un beau matin : Tu ne sais pas ? il m’arrive une drôle de chose… j’ai une inclination… pour… Zéphyr ?

— Oh ! oh ! oh ! quelle farce, dit le sabotier, qui recommença à rire ; — puis, redevenant insensiblement sérieux, il répondit : — Je dirais à ma fille : Va-t-en faire un tour dans ta chambre, et, pendant qu’elle irait, je prendrais Zéphyr par les oreilles et je lui… — Protat acheva sa pensée par un geste énergique.

— C’est bon, pensa Lazare ; je sais ce que je voulais savoir.

— Ah çà ! mais, demanda le sabotier, de quoi parlons-nous là, au fait ?

— Pardi ! fit Lazare, nous parlons peinture à propos d’un tableau, qui est au Louvre. — Et l’artiste se mit à rire lui-même d’une façon si bruyante, que le sabotier étonné lui en demanda la raison.

— Eh ! vous ne voyez donc pas que je m’amuse, et que cette idée