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En même temps que Kichen, on voit figurer au premier plan, sur le théâtre de la lutte anglo-chinoise, le mandarin Elipou, qui avait passé de longues années dans le gouvernement du Yunnan, province située au sud de la Chine, sur les frontières de l’empire birman. Il avait donc plus d’une fois entendu parler de la puissance des Anglais dans l’Inde, et il devait apprécier les périls sérieux qui menaçaient son pays, lorsque la confiance de la cour le plaça à la tête des deux Kiang. Elipou se rendit à son nouveau poste. Il ne partageait pas les illusions de Pékin; il n’avait point le feu sacré qui animait la plupart de ses collègues, et cependant il avait reçu, selon l’usage, les instructions les plus énergiques. Il devait protéger la côte des deux provinces qui étaient le plus exposées aux attaques de l’ennemi, chasser les Anglais de Chusan, et soutenir, sur terre comme sur mer, l’honneur du drapeau impérial. On s’empressait d’ailleurs de lui indiquer les moyens d’obtenir une victoire signalée : il ne s’agissait que de construire des canons de fort calibre et de remplacer les jonques chinoises, dont on reconnaissait un peu tard l’infériorité, par des navires de guerre semblables à ceux des Anglais. Les mandarins à bouton rouge, qui tenaient conseil auprès de l’empereur, croyaient avoir trouvé le secret infaillible. Peut-être éprouvaient-ils quelques remords en s’abaissant à imiter les constructions navales de leurs ennemis, et en abandonnant les formes traditionnelles de la jonque; mais la gravité des circonstances justifiait cette dérogation temporaire aux habitudes de l’empire. Le sage Elipou se mit en devoir d’exécuter les ordres qu’il avait reçus. Une immense fonderie fut établie à Chinhae, on y fabriqua de gigantesques pièces de canon; malheureusement la plupart éclatèrent au milieu des artilleurs improvisés que l’on avait fait venir du Fokien. Quant aux vaisseaux de ligne qui étaient destinés à lutter avec tant de succès contre la flotte anglaise, il fut impossible d’en dresser le plan. L’ingénieur que l’on avait chargé de cette honorable commande ne put se tirer d’affaire qu’en se suicidant. Accusé par ses ennemis d’incapacité et de tiédeur, Elipou se vit obligé, à son tour, d’enfler le style de ses rapports et de chanter victoire avec les autres mandarins. D’après la convention provisoire signée à Canton, le capitaine Elliot s’engageait à abandonner l’île Chusan. Dès que les troupes anglaises eurent évacué Ting-hae, le gouverneur général des deux Kiang se hâta d’écrire à l’empereur qu’à l’approche de l’escadre chinoise, composée de cent trente jonques et formant trois divisions sous les ordres de trois généraux, les barbares étaient partis de l’île « dans le plus grand désordre. » Cet innocent mensonge ne sauva