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ADELINE PROTAT.

Le fait était vrai, et Adeline le citait parce que la Madelon aurait pu le confirmer. Seulement il y avait plus de six mois que cet autre jour était passé.

Lazare n’avait pu s’empêcher de remarquer la présence d’esprit d’Adeline, et pour la première fois il s’étonna du sang-froid, de l’intelligence dont avait fait preuve cette jeune fille, dans laquelle il n’avait vu jusqu’ici qu’un enfant.

— Bonsoir, monsieur Lazare, lui dit-elle en se retirant ; bonsoir, papa.

— Bonsoir, mignonne, répondit Lazare en la suivant des yeux.

— Dors bien, petite, ajouta le sabotier en lui adressant un geste caressant.

— Soyez tranquille, dit Lazare quand Adeline eut fermé la porte derrière elle… elle dormira bien maintenant.

La réticence de ce dernier mot passa inaperçue à l’oreille du sabotier.


II. — la diplomatie de Lazare.

— Ah çà ! demanda tout à coup Protat à son pensionnaire en s’accoudant devant lui et en le regardant avec curiosité, pourquoi diable m’avez-vous empêché d’interroger mon apprenti ?

— N’a-t-il pas été décidé, dit le peintre, que vous me l’abandonneriez entièrement pendant tout le temps que je dois rester ici ?

— C’est vrai, et je ne vais pas contre, répliqua le bonhomme, mais ça n’empêche pas que j’aurais bien voulu savoir comment cette idée de se noyer lui est venue. Ça m’inquiète pour de bon… savez-vous, monsieur Lazare ! Et vous, ajouta-t-il, est-ce que vous n’êtes pas curieux de savoir ça ?

— Aussi curieux que vous, répondit l’artiste ; mais je suis patient.

— Vous ne l’avez donc pas questionné tout à l’heure en montant là-haut avec lui ?

— Je ne lui ai pas dit un mot qui rappelât les événemens de la journée. Je suis monté avec lui pour l’enfermer.

— Ah ! c’est vrai, et vous m’avez même promis de me dire pourquoi vous preniez cette précaution.

— J’ai mis Zéphyr sous clé pour qu’il ne puisse communiquer avec personne et raconter ce qui s’est passé à tout le village.

— Mais tout le village le sait ! s’écria le sabotier, qui trouvait la précaution inutile.

— On sait que Zéphyr a manqué se noyer, dit Lazare ; mais on ignore que c’était volontairement. — Dame ! continua le peintre, j’étais le seul parmi vous qui eût conservé du sang-froid ; je m’en suis