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tante. Comme un coupable qui se croit déjà libre, et à qui une dernière interrogation du juge vient rendre son épouvante, Adeline se trouva en face d’un nouveau soupçon : comment le sac était-il dans sa poche ? Tout était remis en question par ce seul fait. Procédant avec minutie à leur examen, Adeline chercha à se rappeler les faits. Lazare, en trouvant le sac au cou de l’apprenti, le lui avait-il jeté de loin pour qu’elle le visitât ? En l’ouvrant, et à la vue, des objets qu’il contenait, elle avait poussé un cri et était tombée évanouie. Cet évanouissement rompait la chaîne de ses souvenirs. Que s’était-il passé pendant qu’elle gisait sans connaissance sur un banc du jardin ? La pensée d’Adeline s’arrêtait au bord de cette lacune ; mais, faisant trêve à cette nouvelle anxiété, elle poursuivit la recherche d’une conviction rassurante. Ce ne fut qu’après un formidable travail qu’elle réussit à jeter hors d’elle-même le poids qui l’oppressait. Oh ! la bonne bouffée d’air qu’elle respira, quand elle se fut ainsi persuadée ! De tremblante qu’elle était, comme elle devint subitement audacieuse, et se dédommagea de n’avoir point, depuis tant de longues heures, osé lever les yeux sur l’artiste, en le regardant avec cette hardiesse ingénue qui serait l’extrême effronterie, si elle n’était pas l’extrême innocence ! — Étais-je folle, insensée ? pensait-elle pendant que sa main serrait convulsivement dans sa poche le petit sac. Si M. Lazare avait vu ce qu’il y a dedans, est-ce qu’il n’aurait pas deviné tout de suite, en se rappelant que j’étais dans sa chambre le jour où il n’a plus retrouvé la lettre qu’il écrivait à son ami de Paris ? Et s’il avait deviné, est-ce qu’il ne serait pas changé un peu dans ses manières avec moi ? — Et, en faisant en sourdine toutes ces réflexions, elle pressait toujours le petit sac d’une main, et Lazare, qui entendait bruire les papiers au fond de sa poche, se disait à lui-même : — Voilà mon baume tranquille qui opère.

Adeline, en effet, complètement rassurée du côté de Lazare, commençait à s’inquiéter à propos de Zéphyr. Et, s’il faut le dire, elle se préoccupa beaucoup moins de rechercher la cause qui avait pu le pousser à la tentative de l’après-midi qu’à deviner comment il avait surpris l’existence des objets contenus dans le tiroir mystérieux et la raison qui avait pu le pousser à s’en emparer. Aucune lueur, aucune remarque, ne venaient la guider et mettre ses suppositions confuses sur une trace aboutissant à un prétexte. Elle ne pouvait croire à un sentiment d’hostilité de la part du jeune garçon à qui elle avait toujours accordé une protection bienveillante dont Zéphyr s’efforçait de se montrer reconnaissant par tous les moyens qui étaient en son pouvoir, se trouvassent-ils même en contradiction avec ses défauts les plus coutumiers. Il était vrai cependant que depuis quelque temps Zéphyr avait paru se relâcher dans ses complaisances ;