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meilleure pour le genre de culture le plus généralement adopté, mais ce n’est pas là de la grande culture, à proprement parler.

Il est probable aussi qu’en France une révolution du même genre se produira, à mesure qu’il deviendra possible de consacrera la culture un plus grand capital. Les petites exploitations disparaîtront là où-elles supposent la pauvreté, et il s’en formera de nouvelles là où elles indiquent la richesse. En somme, l’étendue moyenne pourra être, sans inconvénient, inférieure de beaucoup à la moyenne anglaise ; dans l’organisation de la culture, comme dans celle de la propriété, une transformation radicale n’est pas à désirer. Encore un coup, là n’est pas la véritable question. Pourquoi la culture et la propriété sont-elles, non pas précisément plus grandes, mais plus riches en Angleterre qu’en France ? Voilà ce qu’il faut rechercher.


III

Selon moi, cette richesse agricole dérive de trois causes principales. Celle qui se présente la première, et qui peut être considérée comme le principe des deux autres, est le goût de la portion la plus opulente et la plus influente de la nation pour la vie rurale.

Ce goût ne date pas d’hier ; il remonte à toutes les origines historiques, et ne fait qu’un avec le caractère national. Saxons et Normands sont également enfans des forêts. Avec le génie de l’indépendance individuelle, les races barbares dont le mélange a formé la nation anglaise avaient toutes l’instinct de la vie solitaire. Les peuples latins suivent d’autres idées et d’autres habitudes : partout où l’influence du génie romain s’est conservée, en Italie, en Espagne, et jusqu’à un certain point en France, les villes l’ont de bonne heure emporté sur les campagnes. Les campagnes romaines avaient été abandonnées aux esclaves ; tout ce qui aspirait à quelque distinction affluait vers la ville. Le nom seul de campagnard, villicus, était un terme de mépris, et le nom de la ville se confondait avec celui de l’élégance et de la politesse, urbanitas. Dans les sociétés néo-latines, ces préjugés ont survécu. De nos jours encore, la campagne est pour nous, et encore plus pour les Italiens et les Espagnols, une sorte d’exil. C’est à la ville que tous veulent vivre ; c’est là que sont les plaisirs de l’esprit, les belles manières, la vie en commun, les moyens de faire fortune. Chez les peuples germains, et surtout en Angleterre, ce sont les mœurs contraires qui règnent : l’Anglais est moins sociable que le Français ; il a toujours en lui quelque chose des sauvages dont il est descendu ; il répugne à s’enfermer dans les murs des villes, et le grand air est son élément naturel.

Quand les peuplades barbares tombèrent de tous côtés sur l’empire romain, elles se répandirent dans les campagnes, où chaque chef,