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et qui, avant d’arriver jusqu’à lui, passent par les mains d’une foule de domestiques et d’intendans, plus occupés de leurs propres affaires que de celles du maître. La terre, dépouillée sans relâche par des mains avides, ne recevant jamais les regards qui pourraient la féconder, abandonnée à des tenanciers aussi pauvres qu’ignorans, languit dans l’inculture, ou ne donne que les maigres produits qu’elle ne peut s’empêcher de livrer. En Angleterre, il n’en est pas tout à fait ainsi ; beaucoup de grands seigneurs tiennent à honneur de gérer eux-mêmes leurs domaines, et de consacrer à l’amélioration du sol la plus grande partie de ce qu’ils en retirent ; mais le vice essentiel des très grandes propriétés n’est pas absolument détruit, et pour ceux qui remplissent admirablement leur devoir de landlord, combien en est-il qui négligent leur héritage !

Est-il donc à propos, comme on l’a fait, de vanter exclusivement la grande propriété, de vouloir la transporter partout, et de proscrire la petite ? Évidemment non. En ne considérant la question qu’au point de vue agricole, le seul qui doive nous occuper ici, les résultats généraux plaident beaucoup plus en faveur de la petite ; propriété que de la grande. Ce n’est pas d’ailleurs chose facile que de changer artificiellement la condition de la propriété dans un pays. Cette condition tient à un ensemble de causes anciennes, essentielles, qu’on ne détruit pas à volonté. Attribuer à la grande propriété en Angleterre un rôle exclusif, en faire le principal et presque le seul mobile du progrès agricole, prétendre l’imposer à des nations qui la repoussent, c’est s’exposer à se donner tort quand on peut avoir raison, et poser en principe que le développement de la culture ne peut avoir lieu qu’à la condition d’une révolution sociale impossible, ce qui est heureusement faux.

Je n’en reconnais pas moins que l’état de la propriété en Angleterre est plus favorable en général à l’agriculture que l’état de la propriété française ; je n’ai voulu combattre que l’exagération.

La question a été mal posée par suite d’une confusion. Ce qui importe à la culture, ce n’est pas que la propriété soit grande, mais qu’elle soit riche, ce qui n’est pas tout a fait la même chose. La richesse est relative : on peut être pauvre avec une grande propriété et riche avec une petite. Entre les mains de mille propriétaires qui n’ont chacun que 10 hectares et qui y dépensent 1,000 fr. par hectare, la terre sera deux fois plus productive qu’entre les mains d’un homme qui possède à lui seul 10,000 hectares et qui n’y dépense que 500 fr. Tantôt c’est la grande propriété qui est la plus riche, tantôt c’est la petite, tantôt c’est la moyenne ; tout dépend des circonstances. La meilleure organisation de la propriété rurale est celle qui attire vers le sol le plus de capitaux, soit parce que les détenteurs sont plus