Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le soleil : au lieu de tourner autour des choses, il les faisait tourner devant lui.

Telle fut l’idée première de l’entreprise philosophique de Kant. Elle devait aboutir, dans sa pensée, à terminer la lutte éternelle de l’empirisme et de l’idéalisme, des dogmatiques et des pyrrhoniens, en fixant à la fois les droits certains et les limites infranchissables de l’humaine raison. Kant avait-il atteint son but ? Nullement. Dégagez en effet son système de tout ce qui n’y tient pas logiquement, ôtez les remaniemens, les correctifs et les inconséquences ; quelle est la conclusion finale ? c’est que l’homme, enfermé dans sa pensée comme dans une prison obscure et sans issue, ne peut tirer de ses notions les plus élevées aucune lumière sur les objets qui l’intéressent essentiellement ; pas la plus faible conjecture sur l’existence de l’esprit, rien sur l’existence de la matière, rien, à plus forte raison, sur celle de Dieu, de sorte que les lois universelles et nécessaires de la raison n’ont d’autre usage que de guider la pensée dans l’exploration de l’univers sensible.

La philosophie allemande en était là vers la fin du siècle dernier ; c’est dire assez qu’elle retombait, en dépit d’elle-même, sous le joug de l’empirisme et du scepticisme. L’honneur de l’y avoir arrachée se partage entre trois hommes supérieurs, Fichte, Schelling, Hegel. Ces grands esprits ont bien des différences, mais dans la variété de leurs systèmes il y a un point commun : c’est un effort généreux et puissant pour retrouver par la science ce qu’on appelle en Allemagne l’objectif et l’absolu, c’est-à-dire la certitude et Dieu.

Fichte s’attache au principe de Kant, — au sujet de la pensée, et il s’efforce de démontrer par une déduction subtile et originale que le moi ne peut pas être la seule existence, qu’elle implique non-seulement un terme opposé qui la limite et la ramène sur soi, mais aussi un principe supérieur, un principe absolu, une existence pleine et sans limite, qui explique, enfante, domine toutes les oppositions. On a pu appeler Fichte le philosophe du moi ; mais il est si éloigné d’un égoïsme vulgaire, que, dans sa morale, il est stoïcien, et que sa métaphysique, de plus en plus pénétrée d’un souffle religieux, est venue aboutir au mysticisme.

C’est dans l’homme, c’est par la psychologie, que le disciple de Kant trouvait Dieu. M. Schelling, sortant brusquement de l’enceinte étroite de la philosophie critique, chercha Dieu dans l’histoire de la nature et dans celle de l’humanité. L’idée générale de son système, c’est l’analogie profonde des lois de la matière et des lois de la pensée. La nature à ses yeux n’est point l’empire d’une fatalité aveugle ; elle est toute pénétrée d’intelligence, mais d’une intelligence qui ne se dégage que par degrés d’une espèce de sommeil. Et d’un autre côté, l’humanité, bien que libre, a des lois, et la vie spirituelle, entée