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tout lui rappelle, comme en un rêve, d’anciens et heureux souvenirs, au milieu des douces visions du temps passé, auld lang syne. Elle a été ramassée évanouie par le docteur John, qui l’a fait transporter dans la belle maison de campagne qu’il habite à une lieue de la ville. Or le docteur John n’est autre que Graham Bretton, le camarade d’enfance de Lucy. Mme Bretton, toujours bonne, toujours fraîche, a quitté aussi l’Angleterre, et est venue tenir la maison de son fils. La reconnaissance a lieu à travers de gracieuses scènes. Lucy est entourée de soins. La convalescence de sa santé et de son âme se fait à la campagne entre la bonne Mme Bretton et l’affectueux et brillant docteur. Lucy renaît et reverdit, non pas comme une catholique dans le confessionnal qui mène aux carmélites, mais dans un intérieur riant qui réconcilie avec la vie. « Lorsque j’eus dit mes prières, dit-elle, et lorsque je me fus déshabillée et couchée, je sentis que j’avais encore des amis, des amis qui n’étaient pas, il est vrai, animés pour moi d’un attachement véhément, qui ne m’offraient pas la tendre consolation d’une union tout à fait assortie, desquels il ne fallait par conséquent attendre qu’une affection modérée, mais vers qui mon cœur s’attendrissait et s’emportait en élans de reconnaissance que je priais parfois ma raison de tempérer. « Faites, la suppliais-je, que je ne pense pas trop à eux, trop souvent, avec trop de tendresse ; que je me contente de quelques gouttes de cette onde vivante, que je ne me plonge pas, trop altérée, vers ces eaux bien venues, que mon imagination ne se trompe pas à y chercher une saveur plus douce qu’on n’en peut trouver aux sources terrestres. Oh ! plaise à Dieu que je puisse me sentir assez soutenue par des rapports avec eux, accidentels, rares, courts, tranquilles ! » Et, en répétant ce dernier mot, je me retournai sur mon oreiller, et, en le répétant encore, j’arrosai mon oreiller de larmes. » Curieuse résistance de cette âme souffrante aux premières brises du bonheur ! Il y a là un singulier phénomène de psychologie protestante que je laisse encore exposer à Currer Bell. « Ces combats avec le caractère naturel, l’inclination forte et native du cœur, peuvent sembler futiles et stériles, mais à la fin ils font du bien. Ils tendent, quoique lentement, à donner aux actions, à la conduite le tour que la raison approuve, et auquel trop souvent le sentiment s’oppose ; ils font certainement une différence dans la tenue générale de la vie, et contribuent à la rendre mieux réglée, plus égale, plus tranquille à la surface, et c’est sur la surface seule que tombe le regard humain. Quant à ce qui est dessous, abandonnez-le à Dieu. L’homme, votre égal, faible comme vous et qui n’est pas fait pour être votre juge, n’a rien à y voir ; portez-le à votre Créateur, montrez-lui les secrets de l’esprit qu’il vous a donné, demandez-lui la façon de supporter les peines auxquelles il vous a soumis, agenouillez-vous