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venue des Européens jusqu’au spectacle, perpétuellement renouvelé sous nos yeux, d’états qui se fondent, de villes qui naissent, de peuples qui périssent comme les nations sauvages, de religions qui s’établissent comme la secte des mormons, toutes choses que nous sommes accoutumés à voir dans le passé et qui sont ici le présent. Ailleurs on lit dans l’histoire ce qui fut ; aux États-Unis, l’histoire se fait chaque jour, et il faudrait une main bien agile pour sténographier cette improvisation continue sous la dictée rapide des faits.

En parcourant tous les documens de l’histoire des États-Unis, auprès desquels on a placé une collection d’armes, de vêtemens, de vases, d’ustensiles indiens, vrai musée de la vie sauvage, — en embrassant ainsi, comme d’un seul regard, tous les âges de cette contrée extraordinaire, depuis le casse-tête du Mohican jusqu’au journal imprimé ce matin là où s’élevait, il y a trois siècles, la hutte de ce Mohican, — on comprend merveilleusement la grandeur et la promptitude du développement de la société américaine.

L’historien des États-Unis est M. Bancroft, qui a représenté son pays à Londres et vécu à Paris, et dont nos hommes d’état les plus distingués ont conservé le meilleur souvenir. Ce qu’il a publié de son Histoire des États-Unis porte l’empreinte de qualités qui lui sont propres. Ce n’est pas l’allure paisible, le langage soigné et un peu étudié d’Irving ou de Prescott : c’est une ardeur, une véhémence de récit qui remue le lecteur et l’entraîne. M. Bancroft appartient au parti démocrate, on sent, en le lisant, le souffle de l’esprit démocratique ; mais rien ne ressemble moins aux idées que ce mot réveille chez nous que les manières et le salon de M. Bancroft.

J’ai rencontré M. Bancroft à l’opéra. L’aspect de la salle a de l’élégance, mais n’a rien de monumental. Ce n’est pas assez pour une ville comme New-York. Il a été question d’ouvrir une souscription pour avoir une plus belle salle et une troupe supérieure. On ne l’a pas pu, parce que la moitié des plus riches négocians de New-York réprouve le théâtre comme une chose profane. Un professeur de l’université de New-York m’a dit que, s’il allait trop souvent au théâtre, il pourrait perdre sa place. On sait combien les puritains étaient opposés aux plaisirs de la scène, et que les théâtres furent fermés à Londres pendant la révolution. À Boston, la première représentation dramatique fut donnée en 1750, vers le temps où parut Zaïre. Cette représentation était clandestine et eut lieu dans un café. L’autorité en ayant eu connaissance défendit que cette impiété se renouvelât. Dans le Connecticut, le premier théâtre s’est ouvert en 1807. Comment s’étonner qu’il en ait été ainsi dans la Nouvelle-Angleterre, quand à New-York, ville où le puritanisme n’a jamais dominé aussi exclusivement, les scrupules d’une classe qui ne passe pas en général pour très austère ne permettent pas qu’on