Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1037

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

romaine en ce qu’elle a d’original était aussi surtout une architecture utile. Les théâtres et les temples romains n’offraient qu’une reproduction inférieure des théâtres et des temples grecs un peu modifiés ; mais ce qui était vraiment romain, c’étaient les égouts comme la cloaca mazinia, les émissaires comme ceux du lac ALbano et du lac Fucino, enfin les aqueducs qui, suivant la belle expression de Chateaubriand, apportaient aux Romains l’eau sur des arcs de triomphe. Il y avait aussi les véritables arcs de triomphe et les amphithéâtres, dont l’origine et le caractère étaient purement romains. Aux États-Unis, on ne s’attend pas à trouver des arcs de triomphe, et grâce au ciel les peuples chrétiens ne connaissent pas les amphithéâtres[1] ; mais New-York a son aqueduc appelé High-Bridge et ses vastes réservoirs. Ce sont de magnifiques travaux qu’on peut admirer même après avoir vu les ouvrages des Romains.

L’aqueduc traverse la rivière de Harlem, comme le pont du Gard traverse le Gardon. Les environs d’Harlem sont très agréables. La rivière coule entre des pentes boisées. Sur la route, de jolis jardins et des maisons de campagne semées au milieu des arbres rappellent un peu l’aspect tranquille et gracieux de l’Harlem hollandais. Cependant il n’y a rien près de l’Harlem américain d’aussi charmant que cette vallée pleine de touffes de roses, et qui mérite si bien son nom de Rosen-Dale. L’aqueduc est en granit et fait un bel effet, jeté hardiment d’un bord à l’autre, au-dessus des arbres au feuillage empourpré et de l’eau verte qui glisse paisiblement sous les arcades élancées. Quand on le compare aux aqueducs romains, on est frappé d’une différence : les piliers sont moins majestueux parce qu’ils sont plus minces. Les Romains mettaient dans toutes leurs constructions le luxe de la force ; ici on n’a fait, selon l’usage, que le nécessaire ; on n’a employé que ce qu’il fallait pour la solidité du monument. L’aspect de High-Bridge est moins imposant, il a moins de masse et de grandiose ; mais l’ensemble du travail est gigantesque. On est allé chercher l’eau de la rivière Craton à près de quinze lieues pour la conduire, en passant au-dessus de la rivière de Harlem, à un premier réservoir (receiving réservoir) qui contient 150 millions de gallons d’eau. En vingt-quatre heures, il s’écoule 16 millions de ces gallons. Ce premier réservoir couvre un espace de trente-cinq acres. C’est peu de chose en comparaison du lac Mœris, qui couvrait tout un pays ; mais je ne sais rien en ce genre d’aussi vaste depuis les Égyptiens. Le réservoir est divisé en deux parties pour qu’on puisse se servir de l’une quand on répare l’autre. On a réservé un terrain égal à celui qu’il

  1. Il faut excepter le petit amphithéâtre de Doué, où il paraît que les rois mérovingiens ont fait combattre des animaux. Il y a aussi les cirques espagnols pour les combats de taureaux, lesquels sont assez semblables pour la barbarie aux jeux sanglans des Romains.