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temps déjà, les relations de l’Autriche et de la Suisse s’étaient compliquées d’un incident de nature à tenir en éveil l’attention du cabinet de Vienne : c’est la suppression des séminaires de Polleggio et d’Ascona par le gouvernement du Tessin et l’expulsion de quelques moines natifs de la Lombardie. Tandis que des négociations se poursuivaient à ce sujet, les événemens de Milan sont survenus, et il n’en a pas fallu davantage pour décider l’action immédiate de l’Autriche, fondée sur les incidens précédens et sur l’agitation permanente entretenue ou tolérée par la Suisse sur la frontière lombarde. Non-seulement le canton du Tessin a été bloqué, mais toute la population tessinoise fixée en Lombardie a reçu l’ordre de quitter le pays. La Lombardie comptait environ 6,000 Tessinois, maintenant rentrés en Suisse. Quel sera le dénoûment de cette complication ? Dans les circonstances actuelles, il ne saurait être douteux. Les réclamations de l’Autriche, surtout au sujet des réfugiés, devront nécessairement prévaloir, soit par le consentement du gouvernement suisse, soit par la force. Seulement, dans ce dernier cas, il ne peut échapper à personne que la question entrerait dans une phase où il serait certes utile qu’il régnât un grand esprit de confiance et de bienveillance mutuelles entre les cabinets de l’Europe.

La Suisse, nous l’avons dit, expie bien des complicités révolutionnaires. Il arrive aujourd’hui pour elle ce qui serait arrivé depuis longtemps déjà sans les étranges commotions qui ont bouleversé l’Europe. Il est un pays en Italie auquel les événemens de Milan pouvaient évidemment créer des embarras peut-être plus graves encore : c’est le Piémont. Non-seulement par le rôle qu’il a joué en Italie, par les souvenirs récens de la dernière guerre, mais encore par l’asile même qu’il a offert à un grand nombre de réfugiés lombards, le Piémont pouvait être exposé à être entraîné ou compromis. Il n’en a rien été heureusement, et cela est dû surtout à la droiture et à la fermeté du gouvernement piémontais. Au premier retentissement de l’échauffourée de Milan, il a pris les mesures les plus promptes et les plus sévères pour empêcher les réfugiés de passer la frontière ; il en a expulsé un certain nombre, il a interné les autres ; il y en a même qui ont été transportés en Amérique pour avoir été pris les armes à la main. L’opinion publique était d’ailleurs d’accord avec l’attitude du gouvernement, on s’est même abstenu de toute interpellation dans les chambres à ce sujet. Ainsi ce qui pouvait être un péril pour le Piémont n’a servi au contraire qu’à le placer dans une situation plus nette et plus franche, tant il est vrai que la fermeté et l’esprit de conduite sont les meilleurs conseillers des gouvernemens. Cette situation ne peut porter que d’heureux fruits pour le Piémont. C’est au cabinet de Turin de maintenir, de confirmer, d’étendre au besoin le caractère conservateur qu’il a mis dans sa politique. M. de Cavour est certainement une intelligence assez élevée pour tirer parti de ces conditions nouvelles. L’esprit de conservation qu’il a apporté dans la politique extérieure, il le mettra aussi sans nul doute dans la politique intérieure. En réalité, quel est aujourd’hui le meilleur système pour le Piémont, si ce n’est d’éviter les agitations inutiles et dangereuses, d’éloigner les questions propres à soulever des orages et à remettre aux prises les passions ? Les hommes d’état qui ont gouverné le Piémont depuis quelques années, ceux qui le gouvernent aujourd’hui, ont