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stipuler des règles d’avancement, à fixer des limites d’âge pour l’entrée et pour la retraite, en un mot à organiser et à réorganiser. Tout cela n’a jamais empêché, que nous sachions, aucun acte de favoritisme. Après chaque changement, chacun se retrouve tel qu’il était avant, chacun reprend ses habitudes, les choses suivent leur cours, la machine fonctionne, jusqu’à ce qu’il survienne une organisation nouvelle qui ne touche pas plus que la précédente à la véritable question. Au fond, l’administration française, qui est heureusement purgée de bien des vices des administrations étrangères, souffre d’un mal assez commun de notre temps : c’est qu’on se rend peu compte des conditions réelles d’un travail sérieux et utile. Il s’est propagé dans ces matières bien des notions confuses qui ne rendent pas plus facile une réforme vraie, profonde et efficace.

Et s’il faut tout dire, cette incertitude de notions et d’idées est-elle donc surprenante ? Ne s’étend-elle pas à bien d’autres régions, au domaine de la pensée elle-même ? Au milieu des excès, des entraînemens des caprices contemporains, ne semble-t-il pas souvent se manifester une altération étrange dans les idées sur l’art, sur l’invention littéraire, sur les choses de l’esprit et de l’imagination, sur la critique elle-même ? Rien n’est plus rare que de savoir ce qu’on doit faire, et, comme on ne le sait pas bien pour soi, naturellement on l’ignore encore plus pour les autres. Il est arrivé ainsi quelquefois à ce recueil même de voir dénaturer singulièrement son esprit et son but. On s’est étonné de la manière dont il entendait la critique, du soin qu’il mettait à reproduire le mouvement des littératures étrangères, à initier notre pays à l’histoire des peuples inconnus, et de l’oubli où il laisserait la France et notre propre littérature. Il a même circulé depuis longtemps et de tradition bon nombre de plaisanteries qui avaient leur prix quand elles étaient neuves, ce qui date de loin, mais qui n’en étaient pas plus justes même alors. Multiplier les recherches et les élémens de comparaison, décrire le mouvement des races, interroger le mystère des civilisations étrangères, étudier le caractère des peuples dans leur histoire, dans leur poésie, dans les œuvres de leur imagination, n’est-ce donc point là en réalité l’esprit même de la critique moderne dans ce qu’il a de plus élevé et de plus nouveau ? Malheureusement il y a toujours en France de courtes vues qui s’étonnent que tout le monde ne soit pas myope. On a sa petite fenêtre ouvrant sur son petit jardin où croissent de petites plantes d’un médiocre parfum, ou bien du seuil d’un salon on recueille les badinages élégans, les bruits qui circulent, les nouvelles qui se succèdent, — et c’est cela à coup sûr qui est de la littérature ! Soit, c’est un genre comme un autre à qui il faut assurément laisser ses sectateurs ; mais c’est un goût qui pourrait rigoureusement n’être point universel, et il est sans doute permis de préférer le spectacle du monde ; il est permis d’aimer à aller chercher le reflet de la civilisation de la France dans les plus lointaines contrées, d’attacher quelque prix aux plus curieux épisodes qui peuvent se produire, de trouver quelque saveur dans la pensée de l’Allemagne, de l’Angleterre, des États-Unis. Cela exclut-il l’étude de la littérature française ? Quel est donc le nom éminent qui n’ait illustré ces pages et les noms plus obscurs qui figuraient auprès de lui ? Quelle est l’œuvre sérieuse qui n’ait trouvé une appréciation, sinon toujours du goût