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arrive toujours lorsqu’on s’est beaucoup agité et qu’on travaille à reprendre son équilibre.

Qu’on le remarque d’ailleurs : ce ne sont point là des symptômes particuliers à un pays ; ils sont communs à tous les pays, car c’est là encore un autre effet des révolutions : elles mettent entre les peuples une intime et invincible solidarité, qui montre leur vie gouvernée par les mêmes influences supérieures, tantôt livrée, comme il y a quelques années, à un même esprit de vertige et d’agitation, tantôt dominée comme aujourd’hui par un courant universel de réaction qui revêt partout le même caractère. C’est ce qui fait qu’au point de vue extérieur, comme au point de vue intérieur, rien de ce qui touche un pays, rien de ce qui l’ébranlé ou le menace, n’est indifférent pour les autres. Chaque incident nouveau atteste cette solidarité en ravivant le sentiment de cette situation précaire dont nous parlions. Certes rien n’est plus exécrablement odieux en soi-même que cet attentat dont vient d’être l’objet le jeune souverain de l’Autriche en se promenant sur les remparts de Vienne : on a quelque peine à concevoir ce froid et criminel fanatisme de l’assassinat qui semble faire dépendre la sécurité d’un peuple de la folie d’un seul homme ; mais ce qui augmente encore, s’il est possible, la gravité d’un tel attentat, ce qui ajoute du moins à sa signification, c’est qu’il se lie évidemment à une situation générale dans laquelle tout le monde est solidaire, c’est qu’il atteint un instinct universel et par le fait même du crime et par l’incessant péril dont il obsède les imaginations. Ce n’est point assurément un crime de cette nature qui peut tempérer et adoucir le courant de réaction qui règne en Europe ; il le justifie au contraire. Il en est de même dans un tout autre ordre d’incidens. Il y a aujourd’hui en Europe un assez grand nombre de questions engagées. Les événemens de Milan ont mis, à ce qu’il semble, l’Autriche dans la nécessité de prendre des mesures rigoureuses contre la Suisse par un blocus du Tessin et de placer ce pays sous la menace d’une action plus directe encore. Peut-être ces mêmes événemens ont-ils réveillé dans quelques cabinets la pensée d’intervenir auprès de l’Angleterre pour réclamer l’extinction de ce foyer de propagande révolutionnaire qu’elle entretient ou qu’elle tolère chez elle. D’un autre côté, vers l’Orient, se débattent toutes ces affaires du Monténégro, des lieux saints, qui mettent en contact et en lutte toutes les influences, toutes les rivalités, toutes les ambitions, et semblent faire chanceler une fois de plus l’indépendance de l’empire ottoman. Chacun de ces incidens a par lui-même assurément une assez grande importance, mais ce qui fait qu’il s’y attache un intérêt plus vif encore, c’est qu’on sent bien que chacun d’eux est réellement comme un fil auquel est suspendue la paix générale. De toutes parts éclate ainsi cette solidarité qui existe entre les peuples, — solidarité dans la politique intérieure et dans la politique extérieure, solidarité dans les besoins d’ordre et de paix, solidarité dans le péril et jusque dans ces inquiétudes qui naissent au spectacle de complications dont on ne prévoit pas l’issue. Ces complications sont réelles ; c’est là ce dont on ne saurait douter. Pour le moment, c’est peut-être sur un des points que nous indiquions, en Orient, que se préparent les éventualités les plus graves, et récemment en Angleterre même, un des principaux organes de la presse semblait laisser pressentir un singulier revirement dans l’opinion publique anglaise à l’égard de l’indépendance de l’empire ottoman. L’Angleterre, au fond, n’en