Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1009

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la poursuite des hommes. Voici un éloge complet de cet art qui ne manque ni de bon sens ni de poésie, deux choses qui s’accouplent du reste plus souvent qu’on ne le pense : « La chasse dégage l’esprit des soucis dont il est embarrassé ; elle ajoute à la vigueur de l’intelligence, elle amène la joie, dissipe les chagrins, et frappe d’inutilité l’art des médecins en entretenant une perpétuelle santé dans le corps. — Elle forme les bons cavaliers, car elle enseigne à monter vite en selle, à mettre promptement pied à terre, à lancer un cheval à travers précipices et rochers, à franchir pierres et buissons au galop, à courir sans s’arrêter, quand même une partie du harnachement viendrait à se perdre ou à se briser. — L’homme qui s’adonne à la chasse fait chaque jour des progrès dans le courage ; il apprend le mépris des accidens. Pour se livrer à son plaisir favori, il s’éloigne des gens pervers ; il déroute le mensonge et la calomnie, il échappe à la corruption du vice, il s’affranchit de ces funestes influences qui donnent à nos barbes des teintes grises et font peser sur nous avant le temps le poids des années. Les jours de la chasse ne comptent point parmi les jours de la vie. »

Dans le Sahara, la chasse est l’unique occupation des chefs et des gens riches. Quand arrive la saison des pluies, les habitans de cette contrée se transportent tour à tour au bord des petits lacs formés par les eaux du ciel. Aussitôt que le gibier vient à leur manquer sur un point, ils donnent un nouveau foyer à leur vie errante. Une histoire où l’on retrouve, comme dans beaucoup de chroniques arabes, l’esprit légendaire du moyen âge prouve avec quelle force la passion de la chasse peut s’emparer d’une âme africaine. — Un homme de grande tente avait tiré sur une gazelle et l’avait manquée. Dans un mouvement de colère, il fit serment de n’approcher aucun aliment de sa bouche avant d’avoir mangé le foie de cet animal. À deux reprises encore, il fait feu sur la gazelle et ne l’atteint pas ; pendant tout le jour, il n’en continue pas moins sa poursuite. La nuit venue, ses forces l’abandonnent ; mais, fidèle à son serment, il ne prend aucune nourriture. Ses serviteurs continuent alors la chasse de la bête, et cette chasse dure encore trois jours. Enfin la gazelle est tuée, et on apporte son foie à l’Arabe mourant, qui approche de ses lèvres un morceau de cette chair, puis rend le dernier soupir. N’est-ce point là dans sa scrupuleuse rigueur, dans son tour excentrique et dans son dénouement romanesque, le vœu de nos anciens chevaliers ?

Les Arabes chassent à pied et à cheval. Un cavalier qui veut poursuivre le lièvre doit prendre avec lui un lévrier. Les lévriers s’appellent slougui ; ils tirent leur nom de slouguia, lieux où ils sont nés, assure-t-on, de l’accouplement des louves avec les chiens. Ce croisement