Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/988

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’uniformité et la modération du taux de l’intérêt sont un évident bienfait. D’un autre côté, peut-on espérer que 200 millions suffiront, malgré toutes les combinaisons du crédit, à soulager l’ensemble de la propriété, sur laquelle pèsent 6 ou 7 milliards d’hypothèques ? Là est la grave question ; mais, en dehors même de cette considération, il y a dans cette mesure, nous l’avouons, un côté politique qui nous touche. C’est là encore une occasion perdue pour les départemens de vivre et d’agir par eux-mêmes, de se subvenir, à eux-mêmes. Le crédit foncier vient se centraliser à Paris, comme tout le reste. Au commencement de la dernière révolution, il s’était développé sur tous les points de la France un mouvement tendant à revendiquer une certaine part d’action provinciale. Les esprits prévoyans et pratiques faisaient sans doute la part de ce qui n’était que le ressentiment d’une révolution subie à contre-cœur et d’un besoin juste et légitime. Ils savaient, par exemple, que ce mouvement ne devait point aller jusqu’à porter atteinte à l’unité politique du pays ; mais en même temps ils pensaient qu’il pouvait être utile de rendre quelque aliment à la vie locale, d’étendre les attributions des départemens quant aux choses administratives et aux intérêts, matériels. On assure, il est vrai, que c’est de l’impuissance des départemens à se donner par eux-mêmes des institutions de crédit foncier qu’est née aujourd’hui la pensée de créer une banque unique et centrale. Pour peu qu’on y réfléchisse cependant, nous tournons ici dans un cercle vicieux. Cette impuissance peut exister ; elle est le fruit d’habitudes invétérées, de l’excès prolongé de la centralisation en toute chose ; elle est arrivée au point où elle est, parce qu’à chaque difficulté nouvelle, à chaque création de ce genre, on a fait le même raisonnement qu’aujourd’hui. Or s’ensuit-il qu’il faille s’enfoncer encore plus dans cette voie ? La question est de savoir si des institutions de crédit plus rapprochées de la propriété territoriale n’eussent point été mieux en rapport avec les conditions et les besoins de cette propriété, si une multitude d’efforts se produisant dans des sphères différentes, ayant leur caractère propre et généreusement stimulés, n’eussent point fini par surpasser l’action d’un établissement unique, en groupant les intérêts dans un ordre plus naturel. C’est là ce que nous voulons dire. Quant à l’utilité de l’institution en elle-même, elle n’est point douteuse ; quant au degré de confiance et de popularité qui s’y attache, on peut le mesurer au crédit qu’obtient la banque foncière, même avant d’avoir réalisé aucun de ses bienfaits possibles.

Aussi bien tous les esprits, comme nous le disions, se tournent aujourd’hui du côté de cette nature d’opérations et de combinaisons faites pour transformer les conditions matérielles du pays. Il n’en faudrait pour preuve que cette autre création qui vient d’éclore dans le monde financier sous le nom de société générale de crédit mobilier. C’est sans nul doute un des plus puissans instrumens de crédit qui aient été agencés et combinés depuis longtemps. L’institution qui vient de naître, et dont les proportions ont excité quelque étonnement, ne vient point remplacer les autres institutions de crédit, la Banque de France par exemple ; elle s’y rattache au contraire, elle la supplée et lui sert d’intermédiaire en plus d’un point. Ses opérations ne se confondent pas davantage avec celles de la banque foncière ; ce que celle-ci fait pour la propriété immobilière, la société nouvelle est autorisée à le faire