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mière ; des amis imprudens voulurent applaudir : ce fut le signal des sifflets. Maître Joseph, debout sur sa banquette et armé d’une clé, dirigeait la cabale. Maria joua son rôle jusqu’au bout avec un véritable courage, et, dans la scène où Angela devient capricieuse et fantasque, je crus remarquer à travers la tempête quelques intentions heureuses, quelques éclairs d’intelligence et de comique ; mais il n’était plus temps, le public n’écoutait plus et cherchait dans le bruit et les huées un dédommagement au spectacle manqué.

Lorsque la salle fut évacuée, je montai sur le théâtre. J’y trouvai la Marietta dans le plus affreux désespoir ; elle cachait son visage dans ses mains, et de grosses larmes coulaient entre ses doigts. Le directeur, assis près d’elle sur un banc de bois, tâchait de la consoler. — Ne pleure point, ma belle, disait-il. Une cabale était organisée d’avance contre tes débuts par quelque envieux des succès de notre compagnie. Il est fâcheux que tu aies vu, dès le premier jour, le revers de la médaille ; mais tu connaîtras aussi le bon côté. Il n’y a pas un de nous à qui pareille disgrâce ne soit arrivée. Voici aotre ami le seigneur français qui te dira comme moi que tu n’as point du tout mal joué ton rôle. Le capo comico me faisait signe de venir à son aide ; je gardai le silence. Un dernier brouhaha mêlé de sifflets parvint encore aux oreilles de Maria. — Les entendez-vous ? dit-elle en frappant du pied ; ils me sifflent jusque dans la rue. Hélas ! mon bon Tampicelli, c’est vous qui m’avez attiré cet affront, en me poussant sur ce maudit théâtre où je n’osais pas monter. Cette épreuve cruelle sera la dernière ; je n’aurai pas le courage de m’ex poser une seconde fois aux insultes de vos ennemis.

— Maria, dis-je, pourquoi ne parliez-vous pas ainsi tout à l’heure, quand vous teniez à peu près le même langage au roi Derame ? Votre accent est simple et touchant à cette heure ; d’où vient que sur la scène vous n’aviez plus ces inflexions justes et naturelles ?

— Vous trouvez donc que j’ai mal joué ? s’écria la jeune fille avec vivacité. Vous trouvez donc que j’ai mérité les sifflets et les huées ?

— Je ne dis pas cela ; mais je doute que vous puissiez devenir une bonne comédienne.

— Ohl alors, reprit-elle, tout est dit. Je renonce au métier ; je retourne à ma boîle de parfumerie et à mon commerce ; je repars pour Venise, Vérone et Milan. Je me suis trompée, voilà tout. Cette leçon me servira ; je vous remercie de votre sincérité. À présent que mon parti est pris, je me sens plus calme, et je vais dormir.

— C’est cela, dit le capo comico, va dormir, ma fille. Nous en reparlerons demain.

Et lorsque la Marietta se fut retirée, Tampicelli ajouta : — Elle resterait au théâtre, si on l’eût applaudie ; elle testera parce qu’on l’a sif-