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notre part d’appuyer sur ce point. S’il est vrai que les esprits habitués à la discussion sont souvent inhabiles à inventer, il n’est pas moins vrai que les esprits habitués à l’invention sont souvent inhabiles à discuter. Ainsi tout juge impartial se voit forcé de renvoyer les parties dos à dos. Les poètes d’ailleurs se méprennent étrangement en insistant pour n’être jugés que par leurs pairs, car c’est le nom qu’ils donnent à leurs confrères. Quant à ceux qui n’ont jamais aligné de rimes, ils les considèrent comme des hommes d’une race inférieure. Les poètes, mieux éclairés sur leurs vrais intérêts, comprendraient la nécessité d’avoir entre eux et la foule des interprètes familiarisés tour à tour avec l’invention par la lecture, avec la discussion par l’analyse de la pensée. Ce que la foule ne devine pas, ces interprètes se chargent de l’expliquer ; ce qu’elle méconnaît, ils s’efforcent de le mettre en lumière ; ce qu’elle nie, ils ne craignent pas de l’affirmer, et ce n’est pas là, quoi qu’on dise, un médiocre service. Jamais ou presque jamais les poètes ne seront capables d’accomplir une pareille tâche.

Je reviens à mon affirmation. Louer sans conseiller n’est, pour les inventeurs, qu’une forme stérile de la bienveillance. Mais sur quoi s’appuiera le conseil ? où prendra-t-il son autorité ? où prendra-t-il sa puissance ? La réponse n’est pas difficile. La critique, pour être écoutée lorsqu’elle conseille, doit chercher dans le passé, dans le présent même, des exemples, des argumens. Or, tout homme qui se voue à la discussion, qui veut la pratiquer loyalement, se prépare à cette tâche délicate par l’étude comparée de plusieurs littératures. Des Alpes aux Pyrénées, du Rhin à la Manche, il a compté toutes les évolutions du génie européen, et chacun conviendra qu’il y a dans cette laborieuse étude une source féconde de réflexions. Il n’ignore pas, il n’a pas le droit d’ignorer les monumens de l’art antique. Appuyé sur de telles autorités, il ne redoute pas le reproche de partialité. Portant sa vue tour à tour sur les siècles de Périclès et d’Auguste, de Léon X, d’Elisabeth et de Louis XIV, il peut défier hardiment tous ceux qui l’accuseraient de cécité ou de myopie. Le conseil, dans sa bouche, ne ressemble jamais à la rancune des vieillards qui se vengent de leur faiblesse en raillant l’énergie. Il parle d’une voix grave et convaincue. Bacon disait : « Un peu de philosophie éloigne de la religion ; une philosophie profonde ramène à la religion. » Nous pourrions dire : Une science incomplète éloigne de l’indulgence ; une science plus étendue ramène à l’indulgence. À défaut d’autre autorité, je puis du moins invoquer l’autorité de l’étude, et c’est en m’appuyant sur cette autorité que je vais essayer de caractériser la nouvelle génération littéraire qui grandit sous nos yeux.

Je ne veux pas appliquer à la génération nouvelle la même rigueur qu’à la génération déjà mûre, et dont les doctrines peuvent être des a présent pleinement appréciées. Il y a, parmi les talens qui se sont