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au-dessus de l’histoire proprement dite ; mais elle préférait la richesse de la rime à la justesse de la pensée. Qu’on me permette une comparaison : la pensée des grands écrivains se développe comme le chêne, du centre à la circonférence ; c’est en s’épanouissant qu’elle rencontre sa forme logique. La pensée des écrivains secondaires se développe à la manière du palmier, de la circonférence au centre ; elle naît de l’assemblage des mots, comme la tige du palmier s’accroît par les bourgeons qui bordent sa circonférence. Les tirades applaudies il y a vingt ans comme des modèles de grandeur ou de naïveté, ont aujourd’hui rangées parmi les bouts rimes, et la foule, un instant égarée, dédaigne avec raison ces paroles sonores dont le bruit ne saurait dissimuler l’absence de la pensée. J’estime très haut le côté musical de la poésie ; je veux que l’oreille soit satisfaite. Cependant je ne puis consentir à mettre la parole sur la même ligne que le violon et la flûte. Parlez mélodieusement, à la bonne heure ; mais avant de parler, commencez par trouver quelque chose à dire. Si vous comptez sur le choc des mots pour découvrir une pensée, vous exposez votre imagination à de singuliers mécomptes. Et pourtant n’est-ce pas là le procédé suivi par l’école nouvelle en mainte occasion ? Combien de fois n’a-t-elle pas demandé à la rime ce qu’elle devait demander à l’étude, à la réflexion ! La rime, rendons-lui justice, ne s’est pas fait long-temps prier. Elle a livré généreusement tout ce qu’elle possédait, un simulacre de pensée. L’on s’étonne aujourd’hui que l’indifférence ait pris la place de l’admiration ! la chose est pourtant toute simple. L’école nouvelle promettait de mettre sur la scène la vérité historique et la vérité philosophique. En attendant l’accomplissement de cette double promesse, la foule a bien voulu accepter comme des prodiges d’habileté le déplacement de la césure, l’enjambement, la rime telle que la concevait Ronsard ; mais sa patience ne pouvait durer éternellement : elle a demandé l’avènement de l’histoire et de la philosophie dans le domaine poétique, et pour toute réponse l’école nouvelle lui a donné des bouts rimes. Comment les accueillir ? Par la colère ou par l’hilarité ? Le dernier parti était le seul bon, et la foule avait trop de bon sens pour choisir le premier. Au lieu de crier à l’ignorance, au scandale, il faut donc voir dans le dédain de l’auditoire pour ces mots assemblés musicalement, mais qui cachent à peine dans leurs rangs pressés quelques ombres de pensées, un présage, une ébauche du jugement que portera l’histoire. L’école nouvelle, qui promettait en 1827 de régénérer le théâtre, ne laissera dans notre littérature qu’une seule trace de son action, l’assouplissement de l’alexandrin : l’histoire et la philosophie ne lui doivent aucune reconnaissance.

Et cependant nous aurions tort de regretter l’agitation littéraire qui s’est produite sous le nom de réforme dramatique ; ce serait nous