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but constant de la vie humaine est de s’élever le plus haut possible vers Dieu, car en Dieu se réunissent le beau, le vrai, le bon, c’est-à-dire qu’il réalise l’idéal dans tous les ordres d’idées. Or l’art en particulier n’a pas d’autre devoir ni d’autre règle générale que d’imiter ce type idéal que conçoit nécessairement l’intelligence humaine. La conception en est d’autant plus claire pour l’artiste que son imagination est mieux réglée, son esprit plus droit, son ame plus noble. Affranchissant ainsi l’art des limites étroites que l’ancienne école lui imposait, Steffens n’en faisait plus le prix mesquin d’un certain talent que les recettes d’un empirique vous font acquérir, mais il l’identifiait presque avec les devoirs éternels pour lesquels l’homme a été créé, de telle sorte que le poète formé d’après ses principes était un cœur pur et une ame d’élite. Il ajoutait qu’il fallait, pour arriver à cette gloire du poète, beaucoup de travail et beaucoup de réflexion, mais que, sur cette route difficile, chaque pas en avant devait être un assez beau triomphe, tant le but extrême était glorieux et difficile à atteindre. — Œhlenschlæger avait bien contredit Steffens à propos de quelques détails, il avait même soutenu énergiquement contre lui l’éloge de Lessing. Les assistans le félicitèrent, après le départ de Steffens, d’avoir combattu pour la bonne cause; mais le poète, les arrêtant : « Mes amis, leur dit-il, vous vous trompez si vous me croyez l’adversaire d’un pareil homme. Steffens et moi nous sommes liés pour la vie. Peut-être ai-je eu raison contre lui dans quelques détails; mais quelle intelligence de l’art, quelle élévation, quelle justesse de pensée, quelle éloquence et quel esprit!... » Et laissant tous ses compagnons étonnés, il partit sans attendre de réponse et courut rejoindre Steffens.

Telles sont les circonstances dans lesquelles Œhlenschlæger et Steffens se rencontrèrent pour la première fois. La conversation qu’ils eurent ensemble après la soirée du club dura toute une nuit. Œhlenschlæger avait apporté à son nouveau maître quelques strophes lyriques; mais c’étaient des vers selon l’ancienne méthode, quelque chose de didactique et de compassé. Steffens lui avoua qu’à lire ce qu’il avait écrit jusque-là, il l’avait pris pour un vieux poète portant perruque. Aussitôt, sans hésiter, Œhlenschlæger, qui devait livrer quelques jours après les dernières pages d’un volume de poésies à son libraire, courut à l’imprimerie faire briser les formes qui contenaient les feuilles déjà composées. Il écrivit d’autres vers, dans un système et dans un esprit différens, et il composa surtout quelque temps après, avec une verve et une ardeur dont il ne se croyait pas capable, son petit poème d’Aladin. Comme le héros des Mille et Une Nuits, lui aussi il avait trouvé sa lampe merveilleuse; la littérature danoise avait trouvé son étoile.

Le principal mérite d’Œhlenschlæger est d’avoir ramené le souffle