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de la critique ou de la satire, car elle n’épargne pas les belles choses et noie le précepte sous la moquerie.

Wessel n’a d’ailleurs rien produit d’égal à cette pièce; loin d’apporter sa pierre à l’édifice à peine fondé de la littérature danoise, il passa sans laisser de traces fécondes. Il avait seulement montré ce qu’il y avait de ridicule dans les tragédies compassées; il put servir le goût, mais il ne laissa pas une école. Même les disciples de la société norvégienne, ses compagnons, ne surent pas rester indépendans, et, pour ruiner l’influence allemande, ils finirent par se ranger dans le parti français. La réaction dont Wessel avait été le coryphée avait donc été tout-à-fait stérile. Il était temps que la critique littéraire parvînt à se fonder en Danemark. Ce fut l’œuvre de Rahbek, qui constitua en même temps et fixa la prose danoise.

Il est arrivé plus d’une fois qu’une époque de critique a précédé et amené un siècle littéraire; car, à côté de la critique des époques fatiguées et impuissantes, qui se traîne dans les détails en s’attaquant à une littérature éphémère et privée d’inspiration, ou qui répète sans intelligence les principes généraux déjà formulés, critique flottante, sans dogme et peu féconde, il y en a une autre qui convient aux époques de transition et de préparation littéraire. Loin de blâmer toujours sans jamais proposer un modèle, celle-là, au contraire, a sans cesse devant les yeux un type idéal qu’elle présente à l’imitation du poète; elle aime mieux prodiguer l’éloge que l’ironie; elle encourage au lieu d’abattre et devient créatrice, non pas destructive. Rahbek remplit avec dignité pendant les quinze dernières années du XVIIIe siècle ce rôle du critique qui demeure étranger à toute école, voué seulement au culte du vrai et du beau, lui-même écrivain et poète habile, afin de donner l’exemple avec le conseil. Né en 1760 et mort en 1830, Rahbek a rédigé de 1785 à 1809 la Minerve et le Spectateur, les deux premiers recueils périodiques importans qu’ait connus le Danemark. Enthousiaste des idées philosophiques du XVIIIe siècle, il se fit le disciple de Rousseau et non pas de Voltaire, et sut échapper du moins à la sensibilité maladive de l’école où il semblait se ranger. Ami sincère de la liberté civile, il combattit tous les excès, eut des sympathies pour quelques héros de notre révolution, pour Lanjuinais, Carnot et l’abbé Grégoire, sans dissimuler qu’il admirait fort Auguste, Cromwell et Napoléon. Il introduisit en Danemark les idées sagement libérales; ses collaborateurs à la Minerve et au Spectateur étaient Heiberg père et Malte-Brun, qui, moins réservés, durent partir pour l’exil. Il fit de ces deux recueils les organes éloquens des théories nouvelles qu’il proposait au Danemark du XIXe siècle dans le domaine de l’esthétique et de la politique, et sa prodigieuse activité littéraire, en imposant à la prose danoise la