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l’imitation servile des littératures étrangères ; il semblait n’être qu’un satellite de la France ou de l’Allemagne, un écho bien affaibli de Goethe et de Schiller ou de l’Encyclopédie. La révolution française l’a subitement affranchi de ces liens, qu’il avait plus d’une fois lui-même essayé de briser, et Œhlenschlæger a pu créer au commencement de ce siècle une littérature vraiment nationale. De même, en politique, les efforts qu’a faits le Danemark depuis cinquante ans pour s’ériger en nation et conquérir un gouvernement constitutionnel sont considérables. On l’a pu voir rejeter peu à peu les institutions qu’il avait empruntées à d’autres âges ou à des civilisations voisines : la féodalité allemande, l’absolutisme royal, reste du moyen-âge, et le servage, contraire aux idées et à l’esprit modernes. On l’a vu en même temps s’appliquer à abattre les barrières qui séparaient ses différentes classes de citoyens, afin d’obtenir cette égalité civile qui seule fait une nation. Commencé à la fin du dernier siècle, cet ardent travail n’est pas terminé ; la grande propriété possède toujours en Danemark une influence qu’une sage législation devra régler, et l’histoire des dernières années a prouvé que l’Allemagne n’avait que trop d’attaches encore dans les duchés danois ; mais la fermeté avec laquelle le Danemark a supporté les épreuves de la vie politique, en même temps qu’il repoussait énergiquement l’étranger, fait bien augurer de ses récens efforts, malgré leur apparente témérité.

Au mois de juin 1849, les Danois ont passé subitement, par la constitution que le roi actuel Frédéric VII leur a octroyée de son propre mouvement, du gouvernement absolu au régime constitutionnel ; ils ont même reçu alors et conservent aujourd’hui le suffrage universel à peu près sans restriction. Électeurs, députés et publicistes se sont promptement formés aux mœurs parlementaires. Que ce petit royaume puisse garder long-temps dans leur intégrité les institutions si libérales qu’il s’est données à la suite du mouvement de février, c’est ce dont il est bien permis de douter. Sans parler des changemens récens de la politique générale de l’Europe, dont il dépend nécessairement, le Danemark a de dangereux voisins ; plusieurs questions intérieures pleines de périls, comme l’agitation des amis des paysans et l’administration des duchés, semblent promettre des complications fâcheuses et fournissent tout au moins des armes au nombreux parti qui demande la révision de la constitution. Il semble du moins assuré que le Danemark est désormais et pour toujours un état constitutionnel. Dévoué comme il n’a cessé de l’être à la royauté, délivré par sa condition d’état agricole des craintes d’un socialisme redoutable, il aura donc obtenu pour prix de ses longs efforts des institutions qui offrent à chaque citoyen, par la tribune et la presse, un libre exercice de ses facultés, une prompte justice et une inviolable garantie de tous