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Les bardes d’Attila, chargés par Théodoric de porter en tous lieux la nouvelle des catastrophes d’Etzelburg, ne manquent pas de s’arrêter à Passau et de raconter à Pilegrin tout ce qui s’est passé. L’imagination de l’évêque se monte à leur récit; il veut écrire ces mémorables aventures et fait promettre à Swemmel, l’un de ces bardes, qu’il le secondera dans son entreprise. « Swemmel, lui dit-il, mets ta main dans ma main et jure-moi que, si tu traverses de nouveau ce pays, tu reviendras me voir. Ce serait un grand malheur si ce que tu m’as conté venait à se perdre; aussi je ferai tout écrire, les vengeances et les combats, les catastrophes et la mort des héros, et ce dont tu auras été témoin par la suite, tu me le confieras de même en toute sincérité. Outre cela, je veux savoir de chaque parent, homme ou femme, ce qu’il peut m’apprendre là-dessus; mes messagers vont partir à l’instant pour le pays des Huns, afin de me tenir au courant de tout ce qui arrivera, car c’est bien là la plus grande histoire qui se soit passée dans le monde ! »

Mais le lettré, le collecteur de traditions, l’amateur de poésie populaire était bien autre chose encore, en vérité : c’était un personnage politique important et un apôtre plein de courage. Évêque de Passau depuis l’année 971 jusqu’à l’année 991, époque de sa mort, il se trouva mêlé à toutes les grandes affaires de l’Allemagne, principalement à l’affaire par excellence, celle qui n’intéressait pas seulement l’Allemagne, mais l’Europe, mais la chrétienté tout entière : je veux parler de la conversion des Hongrois et de leur introduction dans la société civilisée, au moyen du christianisme. Depuis bientôt cent ans que ce peuple habitait la Pannonie, où le roi Arnulf l’avait imprudemment appelé pour détruire les Moraves ses ennemis, l’Europe n’avait pas eu un instant de repos : l’Illyrie, l’Italie, la Bavière, la Thuringe, la Saxe, la Franconie, l’Alsace, la France même, avaient été successivement ravagées, et la terreur qui accompagnait les nouveaux Huns ne pouvait se comparer qu’à celle qu’avait ressentie le monde romain au Ve siècle vis-à-vis des Huns d’Attila. Cette comparaison était dans toutes les bouches, et en effet les Ougres ou Hongrois formaient une branche de la grande confédération hunnique, restée long-temps sur la frontière d’Asie et passée en Europe au IXe siècle. Eux-mêmes reconnaissaient cette parenté en adoptant la gloire des Huns comme un héritage de famille, et en plaçant Attila en tête de leurs rois. Au reste, ce que la peur avait imaginé sur les premiers Huns, elle le répétait sur les seconds, que l’on regardait dans toute l’Europe non-seulement comme des sauvages féroces, mais comme des anthropophages et des mangeurs d’enfans; le mot d’ogre conservé dans nos contes populaires est une tradition vivante de la frayeur qui possédait nos aïeux, il y a neuf siècles, au seul nom du peuple hongrois.

Après bien des efforts impuissans, l’Allemagne eut enfin sa revanche, et les Hongrois tombèrent sous l’épée de l’empereur Othon-le-Grand,