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pas besoin; il désire vous doter lui-même, et il vous couvrira de plus de bijoux que vous n’en pouvez porter. » Ni le désintéressement d’Attila, ni la tendre affection qu’il lui montre ne calment cette ame cruelle; en vain elle met au monde un fils qu’elle fait baptiser (car il y a dans Etzelburg une église où l’on dit régulièrement la messe) : aucun sentiment n’a prise sur elle, si ce n’est la vengeance. Elle arrête enfin son plan. Une nuit qu’Attila reposait dans ses bras, elle se lamente sur la longue absence de ses proches, comme si son cœur souffrait de ne les point voir. « J’ai d’illustres parens, disait-elle, mais nul ne les connaît dans ce royaume, et, quand je passe sur les chemins, on m’appelle, pour m’offenser, l’orpheline étrangère! — femme bien-aimée, s’écrie Attila, que toute ta parenté vienne nous visiter, je l’y inviterai cordialement, et ma joie égalera la tienne quand nous recevrons ces nobles hôtes. » C’était, on le devine bien, un piège que Crimhilde tendait à ses frères, à l’insu de son mari. Dès le lendemain, deux messagers partaient pour Worms, et une grande fête d’armes se préparait à Etzelburg.

Les frères de Crimhilde, Gunther, Ghiselher et Ghernot, n’acceptent pas sans hésiter l’invitation qui leur arrive d’Etzelburg; mais la loyauté d’Attila les rassure, car nul roi n’est plus fidèle à sa parole, nul roi n’exerce plus saintement l’hospitalité. Ils ont soin néanmoins de s’informer près des messagers s’ils ont vu la reine, leur sœur, et de quelle humeur elle était à leur départ. « D’humeur calme et joyeuse, répondent ceux-ci, et elle vous envoie le baiser de paix. » Les hommes du Rhin se mettent en route, non pas seuls toutefois, leur suite se compose de soixante chefs ou héros, de mille guerriers d’élite et de neuf mille soldats. En tête se trouve Hagen, qui n’est plus ici leur frère, mais leur parent et leur compagnon inséparable. Dans le guet-apens tendu à Siegfried par les Niebelungs, c’est lui qui a frappé le héros, et après l’avoir tué, il lui a enlevé son épée, qu’il porte arrogamment à sa ceinture comme un trophée de sa victoire. L’épée de Siegfried est la meilleure qui ait jamais été trempée; elle se nomme Balmung, et on la reconnaît à son pommeau de jaspe, vert comme l’herbe des prés. Les hommes du Rhin sont assaillis tout le long de leur route par des prédictions sinistres, et quand ils arrivent à la porte d’Etzelburg, Théodoric, qui vient au-devant d’eux, leur dit que la reine gémit toujours et regrette Siegfried : c’était un avertissement qu’ils se tinssent sur leurs gardes. Il n’était plus temps de reculer, ils entrent.

L’accueil que leur fait Attila, aussi cordial que magnifique, ne trouve chez eux que froideur et dureté; tout entiers à la pensée des pièges que peut leur tendre Crimhilde, ils refusent de quitter leurs armes, et leur sombre préoccupation éclate par des propos insolens ou des menaces qui indignent leur hôte. Les Niebelungs sont représentes comme de dignes frères de Crimhilde, sur lesquels le poète